Résumé de la formation
« Tout est chimie dans notre vie ! », c’est peut-être ce que vous allez penser après avoir visionné le cours en vidéo de Damien et Cécile MAILLARD. Cette réflexion est aussi le titre d’un ouvrage de la jeune scientifique allemande Mai Thi Nguyen-Kim, qui souligne dès l’avant-propos de son livre le lien entre chimie et cuisine. Ainsi, lorsqu’on exprime une préférence pour la cuisson d’une viande « bleue », « saignante », « à point », ou encore « bien cuite », nous parlons en réalité de réactions physico-chimiques. De fait, la cuisson de votre morceau de viande est le résultat de la transformation des molécules qui la composent, sous l’effet de la chaleur. Mais rassurez-vous, nul besoin d’avoir un doctorat d’une prestigieuse université pour assimiler les informations et conseils délivrés par Cécile et Damien Maillard. Cela ne veut pas dire que précision et rigueur ne seront pas au rendez-vous, puisque température et temps de cuisson doivent être finement ajustés afin de contrôler au mieux les transformations moléculaires du produit.
Pas de place pour l’improvisation. D’autant plus quand il s’agit d’une viande de grande qualité, issue d’un élevage fermier.
Agriculteur transformant sa production ou simple particulier, il faut peu d’outils pour réaliser la cuisson sous vide privilégiée par nos experts. Une priorité : prendre son temps. Car comme le dit Damien Maillard, le temps est « le meilleur allié d’une cuisson douce pour un résultat tendre et moelleux ». Coïncidence étonnante ou parenté lointaine, notre expert est l’homonyme du découvreur de la réaction chimique du même nom (Louis-Camille Maillard 1878-1936). Pendant cette réaction la viande brunit, tandis que les arômes s’exhalent. Pour l’accomplir, la viande doit être saisie (ou marquée) à feu vif, tout le contraire d’une cuisson douce ! Cependant, nous verrons que préalablement à sa cuisson sous vide, notre expert ne se privera pas du bonus gustatif procuré par le marquage d’une pièce de bœuf. Mais auparavant, concentrons-nous sur la composition de la viande crue afin de comprendre ses réactions face à la chaleur.
Les trois principaux composants de la viande crue et leurs transformations sous l’effet de la chaleur
Le gras
On trouve plusieurs types de gras dans les différents morceaux de viande dont la couleur peut aller du blanc au jaunâtre. Celui qui nous intéresse plus particulièrement dans l’exemple d’une côte de bœuf s’insinue dans le muscle et lui donne un aspect marbré (la viande de bœuf de Kobe en est surement l’illustration la plus célèbre). C’est le gras interstitiel ou, pour les amateurs, le « persillé ». Réserve d’énergie pour l’animal, le gastronome averti le recherche pour sa capacité à fixer les arômes liposolubles (solubles dans les graisses). En fondant dans la viande pendant la cuisson, ce gras apportera un supplément de tendreté et de saveur.
Le muscle
Partie rouge de la viande crue, le muscle est un assemblage de faisceaux musculaires, chacun regroupant des fibres musculaires qui sont elles-mêmes composées de myofibrilles entourées de sarcoplasme, le tout étant maintenu par le tissu conjonctif (que nous étudierons au paragraphe suivant). Ces myofibrilles comportent des myofilaments d’actine et de myosine (des protéines) qui lorsqu’ils se chevauchent, sous l’autorité du système nerveux, entrainent une contraction musculaire (donc le mouvement). Le complexe actine-myosine possède une part substantielle (75 %) du pouvoir de rétention d’eau (PRE) de la viande, ce qui fait toute son importance lors de la cuisson. En effet, les protéines myofibrillaires s’altèrent à partir de 68°, libérant alors l’eau qu’elles renferment, eau qui s’évaporera par la suite. Dès lors, la jutosité de la viande en pâtit grandement, même si un temps de repos à température ambiante après la cuisson offre une légère reprise d’humidité. Notons enfin que l’ajout d’un vin acide dans la recette peut aussi nuire à la jutosité de la viande en déstructurant le complexe actine-myosine.
Maintenant, souvenez-vous du sarcoplasme qui entoure les myofibrilles. Il contient du liquide sarcoplasmique, matière rendue visqueuse du fait de ses protéines sarcoplasmiques semblables à l’albumine du blanc d’œuf. On y trouve une autre protéine, elle pourvue en fer, la myoglobine, qui lui donne sa couleur rougeâtre. Mais à partir d’une température de 55°, les albumines originellement transparentes deviennent blanches opaques (comme un blanc d’œuf cuit). À 62°, elles dissimulent complètement les myoglobines (encore rouges). La combinaison des deux couleurs donne alors à la viande une teinte brune-grisâtre caractéristique du stade cuit. Les myoglobines finissent elles aussi par se coaguler. À 68°, ce processus achevé, elles sont devenues marron : la cuisson saignante n’est plus qu’un lointain souvenir…
Le tissu conjonctif ou trame conjonctive
Son développement est lié au travail du muscle dont il maintient les fibres à la manière d’une gaine. Ainsi, sur un bovin, il peut être très épais dans le paleron ou le jarret par exemple, morceaux provenant des pattes de l’animal, alors qu’il est bien plus discret dans un filet (muscle statique). Il prend aussi en volume avec l’âge. Le collagène qui le compose lui donne une grande résistance et on le confond parfois avec un nerf, ou du gras. Il est responsable à 90 % de la dureté de la viande (pour seulement 10 % de son pouvoir de rétention d’eau). À la chaleur, le collagène commence par se rétracter (viande saisie) puis il s’hydrolyse, se dissout. Donc plus la cuisson dure, plus la viande gagnera en tendreté. Et plus haute sera la température, plus ce sera rapide (dans un milieu acide également, d’où l’utilisation du vin). Mais il faut se rappeler qu’au-delà de 68° la viande s’assèche. Pour conserver la jutosité de cette dernière, il ne faudra pas dépasser cette température de cuisson.
Une cuisson longue à basse température ou comment bien cuisiner une viande
Couleur, goût, aspect, consistance, tous ces caractères organoleptiques de la viande dépendent des transformations moléculaires consécutives à la cuisson. Ainsi, nous pouvons donner les températures de cuisson à cœur d’une viande rouge selon la cuisson désirée :
- Viande bleue : 52°
- Viande saignante : 55°
- Viande à point : de 56 à 62°, passe de rosé à bien cuit.
- Viande bien cuite et moelleuse : de 62 à 68°, devient de plus en plus tendre selon temps de cuisson.
Viande bien cuite mais sèche : au-delà de 68°, sécheresse augmentée par l’allongement de la cuisson à une température trop élevée.
Pour les morceaux au taux de collagène important, il faut garder en tête ceci :
Le collagène présent dans le tissu conjonctif influe sur la dureté de la viande crue.
- Le temps de cuisson que l’on applique joue sur l’hydrolysation du collagène.
- Au-delà de 68°, la viande s’assèche, et cela d’autant plus que la température est élevée.
Il faut donc cuire longtemps les viandes riches en collagène en veillant à ne pas dépasser les 68°. En conséquence, notre expert n’hésite pas à recommander une cuisson sous vide très longue (72 h !) à 66° (ce qui évite le dessèchement) pour le paleron de bœuf ou un bœuf bourguignon.
Objectifs et réalisation d’une cuisson sous vide
Si nous reprenons l’exemple du paleron de bœuf (mais cela est aussi valable pour un jambon par exemple), comment Damien Maillard a-t-il fixé cette température de 66° pour cette cuisson longue à cœur employant la technique du sous vide ? Hormis la question du collagène, que nous venons de voir, notre expert a aussi pris en compte les facteurs suivants :
- En dépassant les 62°, on évite une viande saignante (inadéquate pour le paleron et contre-indiquée pour la consommation du porc) et en cuisant suffisamment les albumines.
- En restant en dessous de 68°, on préserve la texture moelleuse de la viande. En effet, une température de cuisson plus élevée assécherait la viande, d’autant plus si elle se prolonge.
La durée importante de la cuisson à une température entre 63 et 66° ne la rend pas seulement plus tendre : dans le cas d’un jambon, la destruction microbienne importante à cette température améliorera sa conservation.
La cuisson sous vide se révèle un procédé commode pour réaliser cette cuisson longue à basse température. De façon pratique, elle débute par la mise sous vide du produit. Il existe trois types de sac sous vide utilisables pour :
La conservation
- La cuisson
- La cuisson et la conservation
Pour son rôti de bœuf, Damien Maillard adopte un sac de cuisson dit rétractable qui permet de ne pas écraser la pièce de viande lors de la mise sous vide. Après un passage par la machine à cloche (ne pas oublier de vérifier la bonne étanchéité de la soudure), le sac et le rôti qui s’y trouve sont plongés trois secondes dans de l’eau bouillante. Cette opération termine la polymérisation du plastique qui épouse ainsi parfaitement la pièce de viande.
Pour la cuisson sous vide proprement dite, on peut utiliser :
- Un four vapeur
- Un bain-marie (choisi par notre expert)
- Un thermomètre à sonde, instrument de mesure essentiel à la gestion du couple temps-température.
Cette sonde de température sera introduite avec précaution dans le sac plastique, accompagnée d’un morceau de mousse condensée pour assurer l’herméticité de l’opération, dans le but de contrôler précisément la température à cœur.
Pour le rôti de bœuf, la température ambiante du bain-marie sera de 58° pour atteindre une température à cœur de 56°, soit le stade de cuisson saignant. Notons que plus l’écart est faible entre la température ambiante et la température à cœur, plus le temps de cuisson sera long (c’est notre cas ici). Votre patience sera récompensée par une viande à la texture équilibrée et à la cuisson visuellement très homogène, à un point rarement atteint avec une cuisson traditionnelle au four.
Comparaison entre une cuisson au four et une cuisson sous vide
En effet, la cuisson au four d’un rôti de bœuf, saignante comme il se doit, n’offre pas la même régularité qu’une cuisson sous vide. Bien sûr, une cuisson au four à 200° sera beaucoup plus rapide qu’une cuisson sous vide (autour d’une demi-heure). Mais avant que la chaleur n’atteigne le cœur de la pièce de viande, les bords de celle-ci seront probablement trop cuits. Sans compter que l’inertie thermique prolonge la cuisson du rôti une fois sorti du four (pendant le temps de repos nécessaire). Dans ces conditions, il est difficile d’éviter que la viande découpée présente une gradation de couleur allant du très brun sur les bords au rouge saignant au milieu (voire même « bleue »). Cet aspect de la cuisson en cercles concentriques est absent d’une cuisson sous vide (qui ne connaît pas l’inertie thermique), la viande cuite à cœur au degré près ne pouvant que refroidir une fois la cuisson terminée.
La cuisson sous vide, d’un jambon dans cet exemple, peut se dérouler de deux manières :
- Le jambon est placé directement à la température ambiante de 66°. Le passage d’un degré à l’autre sera de plus en plus long à l’approche des 66°, mais tendreté et conservation optimale en seront les contreparties.
- La température ambiante de cuisson progresse par palier. Ainsi, on place d’abord le jambon à une température ambiante de 50° : quand la température à cœur est de 50°, on augmente la chaleur de 5°, et ainsi de suite jusqu’à 66°. Ce procédé allonge encore le temps de cuisson. Mais cet accroissement lent et régulier de la température à cœur confèrera au jambon une cuisson remarquablement homogène et une destruction efficace de la flore microbienne (supérieure au premier mode de cuisson).
Notons ici que le jambon, pièce à la dureté modérée, nécessite tout de même une cuisson longue et douce du collagène afin d’obtenir un produit fini très tendre et moelleux.
Il faut aussi prendre son temps avant et après la cuisson : maturation, préparation et temps de repos de la viande
La maturation de la viande
Connue depuis bien longtemps, mais pas toujours bien appliquée dans le monde actuel, elle est un gage de tendreté et de goût. En voilà le déroulement : après une phase initiale de rigidité due à l’absence d’oxygène et de glycogène, la viande de l’animal abattu s’attendrit par un processus enzymatique post mortem qui casse les myofibrilles du muscle. La maturation doit se pratiquer en chambre froide afin de ralentir la multiplication microbienne. Pendant cette période, la viande perd aussi de l’eau par évaporation ce qui diminue son poids et son moelleux. La maturation s’affirme alors comme un subtil équilibre entre attendrissement de la viande et perte d’eau, tout en veillant à la bonne conservation du produit.
Avant la cuisson proprement dite : marquage d’un rôti de bœuf et préparation d’un jambon
Nous l’avons déjà évoqué, le marquage d’une viande permet de colorer sa surface tout en encourageant l’expression des arômes. Notre expert en expose la progression. La viande commence à brunir rapidement à partir de 62°, mais elle s’assèche aussi une fois les 68° franchis. Quand l’eau des protéines myofibrillaires est totalement rejetée et la température de cuisson au-delà des 100°, la réaction de Maillard stimule la production d’arômes alors que se crée à la surface de la viande une très fine croûte brunâtre (comme une « caramélisation »). Il faut alors laisser la viande reposer avant de réaliser la cuisson à cœur, au four traditionnel ou sous vide. Ce temps de repos servira aussi à descendre la température à cœur du rôti à 4°, ce qui permettra d’éviter l’ébullition de la viande lors de la mise sous vide.
La cuisson sous vide d’un jambon couronne une succession d’étapes visant à rendre la viande plus tendre et à lui assurer une bonne conservation. Après le désossage, certains commencent par un sabrage de la viande. Cela consiste, manuellement ou à l’aide d’une machine, à déstructurer le muscle en taillant dans le le tissu conjonctif. Beaucoup commencent directement par l’étape primordiale du salage. Le but est ici de faire pénétrer le sel au cœur de la chair de la viande, où il retiendra l’eau par effet d’osmose. En outre, cette action va notamment réduire le risque de multiplication microbienne là où une potentielle contamination microbienne consécutive aux différentes manipulations de la viande a pu advenir, ce qui en améliorera la conservation. Deux procédés de salage sont possibles : au sel sec, ou par injection directement dans le muscle d’une saumure. Cette dernière méthode offre un résultat plus homogène et bonifié par un bain saumuré s’étalant sur plusieurs jours. Cette saumure peut être aromatisée afin de singulariser le goût du futur jambon. Une nouvelle opération, le malaxage, viendra compléter ce traitement. Comme son nom l’indique, il s’agit de remuer les morceaux de viande entre eux pour un triple objectif :
Rendre la viande plus tendre à la cuisson en la déstructurant, selon le même principe que le sabrage.
* Faire pénétrer la saumure au cœur du muscle.
* Faire ressortir par frottement les albumines des protéines sarcoplasmiques : elles cimenteront les différentes pièces de viande pendant la cuisson.
Enfin, il est alors temps de rassembler ces différents morceaux afin de redonner au jambon sa forme naturelle. Cette ultime étape est appelée le moulage. Une « chaussette » viendra maintenir l’unité du produit. Le sac rétractable utilisé pour la cuisson sous vide renforcera cette contention et donnera au jambon une forme bien arrondie.
Le temps de repos après cuisson et les conditions de refroidissement nécessaires à une bonne conservation
Une fois la cuisson terminée, un temps de repos à température ambiante de la pièce doit être respecté. Les protéines myofibrillaires en profiteront pour réintégrer un peu d’eau. Pour un jambon, ce temps s’étirera d’une vingtaine de minutes à une heure selon sa taille. Toutefois, dès que la température à cœur du jambon descendra en dessous des 63°, il faudra intervenir pour éviter une prolifération de la flore microbienne. La contre-attaque ? Un refroidissement rapide de la viande ! Pour cela, la température à cœur du jambon doit dégringoler en dessous de 10° le plus vite possible. Direction donc la cellule de refroidissement à air ventilé froid pulsé, ou immersion dans de l’eau glacée. Ensuite, le jambon pourra être placé en chambre froide où il se stabilisera à sa température de conservation, soit 4°. L’efficacité de cette phase de refroidissement pourra être contrôlée par une analyse microbiologique selon les normes HACCP. La sécurité sanitaire des produits transformés en dépend.