Résumé de la formation
Enfin l’agroécologie !
L’agroécologie est l’avenir de l’agriculture. Telle est la conviction d’Alain PEETERS, ingénieur agronome, riche de connaissances scientifiques et d’expériences de terrain en Europe et ailleurs. Après des années de recherches appliquées ponctuées d’inévitables tâtonnements, il est arrivé à mettre au point une méthode qui allie l’agriculture biologique (sans chimie de synthèse) et l’agriculture de conservation (sans labour ni guère de travail du sol), réussissant à maîtriser les adventices et à restaurer la biodiversité, une agriculture qui fait alliance avec la nature plutôt que de chercher à la dominer. Une agriculture moderne, précise et performante qui réussit et évolue car elle se nourrit en permanence de l’expérience de ses praticiens. Son nom ? : agriculture biologique de conservation (ABC). Alain PEETERS donne pour Agrilearn un remarquable cours en ligne très riche d’informations mais accessible à tous, suivi de témoignages d’une dizaine d’agriculteurs engagés dans ce processus de production. Son titre : Réussir sa transition vers l’agroécologie.
Dérèglement climatique, détérioration des sols, pollution, sur fond des nouvelles aspirations de la société, obligent les agriculteurs soucieux de leur avenir et de celui de nos descendants à penser autrement leur métier. Alain PEETERS leur apporte des éléments décisifs qui leur permettront d’engager ou de poursuivre le changement, quelle que soit leur pratique actuelle
Le cours se déroule en trois modules suivis des témoignages et d’un chapitre consacré à l’arbre, dont la présence est indispensable à proximité des cultures. Ce premier article est introductif à l’agroécologie. D’autres suivront.
L’agriculture, de la préhistoire à la révolution verte
L’introduction à l’agroécologie démarre comme il se doit par un aperçu historique. L’agriculture a débuté il y a 10 000 ans entre le Tigre et l’Euphrate, au Proche-Orient, une région appartenant à ce qu’on a appelé le Croissant fertile, vaste étendue qui englobe la vallée du Nil et Ia Palestine jusqu’au Golfe persique. Il y aurait beaucoup à dire sur ce qu’est devenue la fertilité de cette région, la première où des hommes se sont mis à sarcler la terre à la houe pour l’ensemencer, et à pratiquer l’élevage sédentaire. Rompant avec la cueillette, ces pratiques ont diffusé lentement dans les peuples préhistoriques et s’est perfectionnée avec l’invention de l’araire et la traction animale. Ainsi, l’agriculture a gagné nos contrées il y a 6000 ans. Elle n’a cessé d’évoluer avec la sélection animale, l’introduction de plantes issues du Nouveau monde et d’Asie et l’impulsion de quelques visionnaires comme Olivier de Serres (1539-1619), considéré comme le père de l’agronomie française. Beaucoup plus près de nous, à l’issue de la Seconde guerre mondiale, la France, exsangue, manquait cruellement de produits alimentaires. Les cartes de rationnement ont duré jusqu’à fin 1949 pour certains produits. Il fallait produire ! Pour ce faire, l’idée s’est imposée comme une évidence de généraliser les méthodes de la révolution verte, une agriculture basée sur la science et la technique découvertes depuis le XVIIIe et surtout le début du XXe siècle, en rupture avec ce que les paysans avaient fait depuis des millénaires, réussissant d’ailleurs jusque-là, il faut le noter, à nourrir la population.
Apporter de l’azote pour nourrir les plantes
À l’origine de cette rupture : les travaux de Juntus von Liebig (1803-1873), considéré comme l’un des fondateurs majeurs de l’agriculture industrielle, même si d’autres travaux l’ont précédé. Ce savant a mis en évidence l’omniprésence de l’azote dans tous les êtres vivants, et donc son importance pour l’agriculture. Dès lors, on cherchera à apporter de manière plus importante des sources azotées aux cultures (guano du Chili et du Pérou), afin de subvenir aux besoins d’une population mondiale croissante. La synthèse de l’azote est le fruit d’un procédé pensé au début du XXe siècle par l’industrie chimique, qui marquera l’histoire de l’agriculture à tout jamais : le procédé Haber-Bosch de synthèse de l’ammoniac à partir de l’azote de l’air, ressource inépuisable. Il faut toutefois beaucoup d’énergie fossile pour capter l’azote atmosphérique.
Le développement de la chimie a d’abord servi, souvenons-nous-en, l’industrie de guerre pendant la Première guerre mondiale : explosifs, gaz moutarde… pour tuer des gens. Ensuite, elle a servi à produire des pesticides pour tuer des plantes adventices, des champignons et des insectes. Les chars d’assaut ont été transformés en tracteurs à chenilles. Bref, ces « avancées » technologiques et d’autres non directement guerrières ont permis de développer une forme nouvelle d’agriculture qui allait devenir l’agriculture conventionnelle, un modèle qui s’est imposé sur tous les continents. La « révolution verte » a marqué le XXe siècle, surtout dans sa seconde moitié.
La révolution verte repose sur trois piliers
Une conjonction d’efforts et des investissements financiers colossaux à l’échelle mondiale ont permis l’avènement de cette révolution verte, grâce notamment à la fondation Rockefeller et la fondation Ford, puis la Banque mondiale. Les industries d’armement se sont recyclées. Un formidable travail convergent, scientifique, technique, financier, politique, a assuré le succès de la révolution verte destinée à nourrir la population mondiale en forte augmentation. La figure emblématique de cette révolution est l’agronome américain Norman BORLAUG (Prix Nobel 1970) qui en a conçu les trois piliers : génétique, intrants chimiques et irrigation intensive dans les régions insuffisamment arrosées. Il s’agit, en se spécialisant sur quelques espèces essentielles, cultivées souvent en monoculture, de se libérer, autant que possible, des contraintes imposées par la nature. Un projet de démiurge adapté à la mondialisation des échanges en plein développement.
La génétique a produit des variétés sélectionnées très différentes des variétés paysannes de blé, maïs et riz : blés très courts pour transférer la biomasse de la paille vers le grain. Mais leur système racinaire peu développé nécessite l’apport de tous les éléments nutritifs dont la plante a besoin.
L’épandage de grandes quantités de nitrate d’ammonium (NH4 NO3) rend les plantes malades. Il faut donc les protéger avec des fongicides. Les engrais font pousser les adventices qu’il faut éliminer avec des herbicides. Et aussi détruire les ravageurs. D’où l’utilisation massive d’intrants de synthèse. Quant à l’eau, on a longtemps pensé que la ressource en était inépuisable. On sait aujourd’hui que ce n’est pas le cas.
Le tracteur séduit les paysans
Comme la plupart d’entre nous, les paysans n’aiment guère le changement. Or il allait falloir tout changer : utiliser des semences sélectionnées et massivement des engrais, des produits phytosanitaires, mécaniser, donc investir et, pour cela, emprunter et vivre à crédit au lieu de thésauriser, entrer résolument dans la production de masse et l’économie marchande. Ce sont les jeunes qui ont été porteurs du changement, d’autant qu’ils aspiraient à une façon de vivre plus proche du mode de vie urbain. Les paysans, on les comprend, ont été rapidement attirés par la mécanisation, en particulier les tracteurs qui facilitent le travail. Le Plan Marshall, à partir de 1948, a encouragé et soutenu durant quatre ans l’importation de tracteurs et machines américaines. Mais les agriculteurs n’avaient pas les moyens d’assurer seuls la transition qui nécessitait donc des politiques publiques de protection et de soutien assorties de subventions. À partir de 1962, la politique agricole commune (PAC), prévue par le traité de Rome de 1957, a mis en place des mesures de contrôle des prix et de subventionnement pour accroître la productivité agricole, garantir la sécurité des approvisionnements, assurer des prix raisonnables aux consommateurs tout en promettant un niveau de vie équitable à la population agricole. Les prix des produits agricoles étaient alors fixés par le conseil des ministres de l’agriculture des six pays fondateurs du Marché Commun, ancêtre de l’Union européenne.
Au sortir de la guerre, la France comptait quatre millions d’exploitations agricoles, donc des petites fermes pour la plupart. Sans protection, manquant de compétitivité, elles auraient été livrées directement à la concurrence des agricultures industrielles américaines du Nord et du Sud, c’est-à-dire conduites à la ruine, et l’objectif d’autonomie alimentaire de l’Europe se serait évanoui.
Sans aller à la ruine, beaucoup d’exploitations ont cessé leur activité. N’oublions pas en effet que depuis la Seconde guerre mondiale, l’agriculture française a perdu 90 % de ses exploitations et de ses paysans, au prix d’un exode agricole considérable et continu, d’un agrandissement incessant des exploitations, de leur spécialisation, d’une modification des paysages, d’une pollution de nappes et de cours d’eau, de l’abandon des territoires les plus ingrats.
La révolution verte engendre des bénéfices indéniables
Les paysans sont devenus des agriculteurs, des chefs d’exploitation, des entrepreneurs, disons même des agri-managers. Perchés sur leur tracteur, se souviennent-ils de leurs grands-parents, les pieds dans la terre, accrochés à la charrue derrière les chevaux ou même les bœufs ? Un autre monde.
Plus ou moins rapidement selon les régions, ils ont donc finalement adopté dans leur ensemble la nouvelle agriculture plus mécanisée, chimique, productive, en un mot plus moderne car à chaque problème répond une solution technique. Quelle magie !
Au début, Alain PEETERS le dit, ça a bien fonctionné : les rendements des plantes et des animaux ont augmenté fortement. Les agriculteurs en ont vu les bénéfices dans leurs conditions de travail et la rentabilité de leur entreprise. Beaucoup d’agriculteurs s’en sont très bien sortis pendant une trentaine d’années.
La révolution verte, puissant argument de ses nombreux défenseurs, a permis de mieux nourrir la population mondiale. La faim dans le monde n’a pas disparu mais elle a reculé malgré une forte augmentation de la population. Celle-ci a crû en effet grâce à une grande disponibilité d’aliments se jouant des frontières, appuyée par les progrès de la médecine. Le tout basé sur une utilisation massive d’énergie fossile.
Grâce à la révolution verte soutenue par la PAC, l’Europe est devenue en vingt ans autonome pour la majeure partie de son alimentation. Objectifs atteints ! Bravo donc la révolution verte ? Pas si simple quand on y regarde de plus près. Les agriculteurs et agricultrices d’aujourd’hui, troisième génération la révolution verte, se posent beaucoup de questions.
La révolution verte souffre d’un péché originel
Cette façon de pratiquer l’agriculture est fondée sur le modèle de l’industrie. De quoi s’agit-il ? Au départ, se trouve le puits de pétrole, autrefois la mine de charbon, dont l’énergie permet de transformer des matières premières puis d’assembler des éléments aboutissant à un produit fini qui, après usage, finit en décharge. Ce fonctionnement est linéaire. Il n’est pas conçu comme un cycle ni comme un réseau, même si depuis peu, une forme d’économie circulaire encore marginale tente d’émerger. L’industrie consomme de grandes quantités d’énergie fossile, d’eau et d’intrants, et produit au final une énorme quantité de déchets souvent polluants. C’est ce que fait l’agriculture conventionnelle qu’on peut donc qualifier d’industrielle quelle que soit la taille des exploitations.
Or la nature, elle, fonctionne selon des cycles : cycle de l’eau, du carbone, de l’azote, etc. grâce à l’énergie solaire. Elle repose sur des équilibres, dans un fonctionnement de type horizontal.
L’agriculture issue de la révolution verte est construite, à l’inverse du réseau, selon un système pyramidal : des chercheurs produisent les connaissances érigées en vérités, traduites par des vulgarisateurs qui expliquaient et expliquent encore aux agriculteurs comment faire. On retrouve la pyramide dans l’organisation des marchés où, grâce à la production de masse standardisée, quelques gros opérateurs détiennent un pouvoir exorbitant sur les producteurs (et les consommateurs). À l’inverse, les systèmes paysans et les écosystèmes travaillent en réseau. Tout dépend de tout, selon des équilibres entre les ravageurs et leurs ennemis, entre des plantes cultivées et les adventices… Le tout dans un réseau humain sur des territoires caractérisés.
Le péché originel de la révolution verte ne se limite donc pas à telle ou telle technique contestable qu’il suffirait de corriger en y ajoutant de nouvelles technologies. Il résulte de sa conception même du rapport de l’Homme à la nature et des rapports entre les humains. Impressionnant !
Mondialisation : le vent du grand large
Les rapports humains sur lesquels repose de longue date l’économie dominante se fondent sur la compétition. Entre les états, entre les entreprises, entre les individus au sein de l’entreprise, exacerbée par la mondialisation. À ce propos, parmi les nombreuses réformes de la PAC, celle de 1992 est fondamentale car elle intégre résolument l’agriculture européenne dans le marché mondial. Elle scelle la fin de la régulation des prix qui protégeait jusque-là la majorité des producteurs. Celle de 1999 complète le dispositif. Dans le même esprit, les quotas laitiers sont supprimés en 2015 et les quotas betteraviers deux ans plus tard, qui assuraient une stabilité des prix et la rentabilité des exploitations. S’ensuit une tendance à la baisse du prix de différents produits : lait, viande, céréales avec de larges fluctuations des prix le plus souvent décidés hors d’Europe. Ceux des céréales sont fixés à la bourse de Chicago. L‘agriculture conventionnelle issue de la révolution verte subit une baisse de sa rentabilité.
À partir des années 90 on a mis aussi en évidence des effets négatifs de l’agriculture conventionnelle sur l’environnement : baisse de la fertilité des sols, pollution des nappes et cours d’eau par les nitrates et les pesticides, destruction de la biodiversité, gaz à effet de serre. Ainsi, l’impact écologique de la révolution verte sur l’environnement se révèle très important. Les réglementations mises en place pour tenter d’atténuer cet impact se heurtent au fait que les compétiteurs internationaux ne sont pas soumis aux mêmes contraintes. Quant aux effets sociaux, nous les avons évoqués. Dès les années 60, on voulait des exploitations de plus grande taille face aux compétiteurs américains, d’où une chute énorme de la population agricole qui devient aujourd’hui préoccupante. Qui seront les futurs agriculteurs-trices ?
Au total on peut à juste titre s’alarmer des conséquences négatives de la révolution verte, tant dans ses aspects économiques que sociaux et environnementaux.
À côté, l’agriculture biologique devenue de plus en plus nécessaire se fraie progressivement un chemin semé d’embûches. Avec Alain PEETERS, revenons à ses débuts.
L’agriculture biologique ne date pas d’hier
L’agribio trouve ses racines au début du XXe siècle en réaction, déjà, à l’industrialisation de l’agriculture qui commençait à utiliser des engrais et des produits de traitement rudimentaires ; le premier herbicide, rendez-vous compte, était l’acide sulfurique dilué !
Parmi les pionniers, dont le travail est remarquable, Alain PEETERS repère trois grands courants, en Europe et en Asie :
• Albert HOWARD, un Anglais qui a longtemps travaillé en Inde avant de poursuivre en Grande Bretagne.
• Le couple MÜLLER, en suisse avec Hans Peter RUSCH, médecin allemand.
• Masanobu FUKUAKA, au Japon.
Albert HOWARD (1873-1947) a découvert l’importance d’une mycorhize dans le développement des plantes de culture, association symbiotique d’une plante (par ses radicelles) et d’un champignon. Celui-ci va chercher de l’eau et des éléments nutritifs qu’il transfère à la plante qui lui transmet en retour des substances, en particulier des glucides issus de la photosynthèse. HOWARD a travaillé en Inde, à Indore, sur le compostage en tas, fréquemment retourné (procédé Indore) pour une parfaite décomposition qui favorise les mycorhizes. Pour HOWARD la forêt doit être le modèle en agriculture. En forêt, pas de labour, pas d’apport d’engrais ni de pesticides, et pourtant la forêt est très productive.
Nourrir les sols et non les plantes
Il ne faut pas nourrir les plantes avec des engrais solubles mais les sols avec des matières organiques. Ce sont les microorganismes du sol qui nourrissent la plante ; un des piliers fondamentaux de l’agriculture biologique. Ce pionnier a découvert ce qu’on appelle aujourd’hui le principe One health : une seule santé pour les êtres vivants et les écosystèmes, entre la nature et les humains qui, rappelle-t-il, en font partie. Des sols sains donnent des plantes cultivées saines, des animaux sains et des gens en bonne santé. On sait aujourd’hui qu’il y a une continuité entre le microbiome (environnement spécifique habité par une communauté de microorganismes dynamiques ou microbiote) de la rhizosphère du sol et le microbiome de l’intestin qui joue un rôle fondamental dans la santé humaine. L’apport de HOWARD à l’agriculture biologique est fantastique même si d’autres techniques de compostage se sont montrées, depuis lors, plus efficaces que l’Indore.
Les découvertes et les intuitions d’Albert HOWARD ont diffusé en Angleterre, première puissance mondiale à l’époque, et outre Atlantique. Lady Eve BALFOUR a créé en 1946 la Soil Association, mouvement pour l’agriculture biologique. Aux USA, l’auteur et éditeur Jerome Irving RODALE (1898-1971) a inventé le nom organic farming et fondé ce qui allait devenir The Rodale Institute, célèbre institution de l’agriculture biologique. Le compostage en tas a été diffusé en France par Raoul LEMAIRE et Jean BOUCHER qui y mélangeaient des algues marines vivantes ou fossilisées, méthode Lemaire-Boucher, en 1963.
Réunir la science et la pratique
HOWARD s’est inscrit en faux contre le transfert pyramidal du chercheur à l’agriculteur. Les agriculteurs qui ne sont pas des scientifiques sont néanmoins des chercheurs parce que tous les jours ils rencontrent des problèmes et cherchent des solutions. Celles qu’ils trouvent sont pratiques et utiles. Il faut faire se rencontrer le scientifique et l’agriculteur pour associer leurs compétences. Sinon, on dépense beaucoup d’énergie pour des recherches qui n’intéressent pas les agriculteurs, en bute pourtant à des problèmes que la science pourrait éclairer.
L’agriculture biologique en Suisse et en Allemagne
Hans et Maria MÜLLER ont consacré leur vie à la défense des « libertés paysannes », nous dirions aujourd’hui l’autonomie des agriculteurs, le milieu dont ils étaient issus, pétris de culture chrétienne.
Hans Peter RUSCH (1906-1977), médecin, était spécialiste du cancer. Il a eu l’intuition que le sol était important pour la santé humaine et a étudié la microbiologie puis conçu une méthode de diagnostic de la vie du sol. Il a remarqué qu’un compost bien décomposé épandu sur le sol n’a pas d’impact sur les bactéries du sol. Si on composte en surface sur le sol, les matières fraîches provoquent un boom des bactéries. Privilégier, d’après lui, la vie du sol plutôt que la vie du compost. Il apportait en outre des roches broyées (gneiss, aujourd’hui plutôt basalte) pour les oligoéléments. Il s’est aperçu que le labour et les travaux intensifs du sol détruisent la vie du sol. Il préconisait de couvrir le sol avec des engrais verts. C’est donc le pionnier de l’agriculture biologique de conservation (ABC). Une collaboration s’est établie entre le savant RUSCH et les MÜLLER, proches des agriculteurs. Ils ont pu amener pas mal de paysans à abandonner le labour et à couvrir le sol.
Mais l’agriculture biologique sans labour a échoué, à l’époque, parce qu’on n’avait pas les connaissances actuelles ni surtout les outils comme le semoir de semis direct, les herses à pattes d’oie, le rouleau Faca… Malgré les déboires qu’ils ont connus, ces pionniers méritent qu’on leur rende hommage, dit Alain PEETERS, parce que leurs intuitions sont fondatrices de l’agriculture biologique.
S’intégrer dans l’ordre naturel
De culture orientale, au Japon, Masanobu FUKUOKA a défini son système comme l’agriculture du non agir. Or le non-agir est un concept clé de la philosophie taoïste développée en Chine par Lao Tseu, 600 ans avant notre ère. Ce concept s’oppose évidemment à notre culture occidentale qui valorise le travail, l’effort, la persévérance, la maîtrise, l’action. Acceptons de lâcher prise au moins un instant pour écouter la sagesse orientale ! Avant tout, dit Masanobu FUKUOKA, il faut observer, et s’assurer qu’il est nécessaire d’agir et comment. Parfois, on s’abstient d’agir parce que les difficultés se résolvent toutes seules. Un point important en agroécologie.
Il a développé son système dans sa toute petite ferme : riz, orge, couverts de trèfle blanc, sans labour ni engrais chimiques ni pesticides. Enrobage des semences à l’argile, semis à la volée, travail à la main. Alain PEETERS considère que Masanobu FUKUOKA (1914-2008), biologiste devenu agriculteur et auteur, est la source la plus pertinente de l’agriculture biologique, même si son système doit être adapté pour trouver sa place dans nos structures agricoles européennes.
Les grandes leçons des courants pionniers
Alain PEETERS résume ainsi les préceptes des pionniers :
• Ne pas nourrir les plantes par des engrais solubles mais nourrir les microorganismes du sol qui nourrissent les plantes.
• Les sols sains donnent des cultures saines, des animaux sains, des gens en bonne santé : One health.
• Éviter de perturber le sol ; se limiter à un travail superficiel, couvrir le sol en permanence pour le protéger et pour nourrir la vie du sol.
C’est donc à partir de ces principes que se construit l’agriculture biologique de conservation (ABC) dont Alain PEETERS présente les grandes lignes théoriques. Il sera plus facile de comprendre ensuite la pratique quand l’agriculteur en aura intégré les bases.
Le système agroécologique en théorie
L’agriculture biologique de conservation (ABC), nous dit Alain PEETERS, est un système agroécologique. Qu’est-ce qu’un système ? Regardons la toile d’araignée : elle est constituée d’un réseau de nœuds et de fils ; les nœuds figurent les éléments ou objets d’un système que les fils mettent en relation.
En agriculture, les objets sont les plantes, le sol, les éléments du sol, les bactéries… tous en relation.
On peut représenter une ferme par un schéma montrant une frontière externe qui délimite un territoire valorisé par l’agriculteur, avec des productions végétales et animales, un troupeau. On y applique des techniques de gestion faisant fonctionner un système de culture, un système fourrager, un système d’alimentation des animaux, de gestion du bétail, un système de transformation des produits et de commercialisation. Au centre, l’essentiel c’est la famille qui encore aujourd’hui, dans la plupart des exploitations, est le centre de décision et d’action du système. Famille ou pas, l’important est que le centre de décision se situe dans le système, sur place, et non au loin, hors sol. Tout cet ensemble dynamique constituant la ferme agit dans un environnement aux différentes natures : écologique, scientifique et technique, institutionnel et politique, socio-culturel, économique, situé dans une histoire.
Importance de l’environnement écologique
Attardons-nous avec Alain PEETERS sur l’environnement écologique foisonnant de la ferme. Citons d’abord les radiations solaires qui fournissent gratuitement au système l’énergie nécessaire à son fonctionnement naturel grâce à la photosynthèse, citons également les températures, les précipitations, la structure du sol ainsi que les nutriments et l’eau disponibles dans le sol. Il y a bien sûr les éléments vivants : la culture en place ou la prairie, les précédents culturaux, le réseau écologique qui peut favoriser les alliés des cultures ; il y a aussi les plantes compagnes, les adventices, la vie du sol, les micro-organismes notamment symbiotiques, les couverts, les pathogènes, les ravageurs et leurs ennemis, les pollinisateurs… Tous ces éléments sont en interaction. Comme dans une toile d’araignée, quand on en touche un côté, l’ensemble du système est modifié. Merveilleusement complexe, mais sensible.
Alain PEETERS évoque le réseau écologique. Il s’agit d’un concept de l’écologie du paysage qui désigne l’ensemble des infrastructures naturelles ou milieu de vie, visibles et invisibles, c’est-à-dire les habitats permettant d’assurer la survie à long terme des espèces végétales et animales. Les plantes non cultivées herbacées et arbustives en sont les constituants principaux. C’est une composante forte de l’agroécologie. Nous y reviendrons.
Les éléments de l’environnement écologique cités plus haut sont, nous l’avons dit, en interrelation. Entre eux circulent des flux de matière et d’information. Deux plantes, de même espèce ou non, peuvent être reliées via leur système racinaire par un réseau mycorhizien qui transporte de l’eau et des minéraux vers la plante et des sucres venant de la plante qui nourrissent les champignons, mais aussi des flux d’énergie et d’information à base de messages chimiques ou électriques. La plante peut réclamer tel minéral que le champignon va chercher. Formidable ! non ?
Et la biodiversité dans le système ?
L’agriculteur gère le système par la rotation des cultures, l’interculture, la couverture du sol, le non labour, le compost, l’ajout de matière organique, l’agroforesterie, les engrais verts, les coupe-vent. Une large palette d’outils ! Notons qu’il n’est pas question ici d’intrants de synthèse. Ils n’apportent rien évidemment, à la biodiversité. Rien à la vie.
Qu’est-ce donc que la biodiversité ? On en parle beaucoup aujourd’hui ; de quoi se compose-t-elle ? La biodiversité comporte une multitude d’êtres vivants : les pollinisateurs, les prédateurs et parasites des ravageurs et animaux domestiques, les herbivores, la végétation non cultivée (réseau écologique), les vers de terre, la mésofaune (0,2 à 4 mm de long) et la microfaune (< 0,2 mm) du sol, les micro-organismes du sol. Tous ces organismes remplissent des fonctions utiles à l’agroécosystème : pollinisation, régulation des populations de ravageurs, consommation de biomasse et circulation des nutriments, compétition entre plantes, émission de substances allélopathiques (herbicides naturels) par certaines plantes comme le seigle… Et encore d’autres fonctions utiles : ennemis naturels, structure du sol, cycle des nutriments, décomposition des matières organiques assurée par les microorganismes (bactéries), lutte contre les maladies. Comme il est dommage de se priver d’une telle richesse !
Faire face à trois défis pour développer le système agroécologique
Quand on modifie une seule partie du système, nouvelle culture fourragère, par exemple, il y a un effet sur les autres parties. Toute innovation doit donc être cohérente avec l’ensemble. Toutes les composantes doivent être modifiées en même temps et dans la bonne proportion. Comment faire ?
Même si on écoute Masanobu Fukuoka et sa théorie du non agir, les choses ne vont pas toutes seules. L’agriculteur peut voir se développer des maladies dans ses cultures et son troupeau ; il peut se trouver débordé par les adventices et dépassé par les ravageurs. Ce sont ses trois défis principaux. Et puis il peut constater la dégradation de la fertilité du sol. Malheur !
Or la fertilité du sol est liée à la séquestration du carbone, liée elle-même à la restauration de la vie du sol et à la fixation symbiotique d’azote.
Pour faire face à ces menaces qui peuvent ruiner ses efforts, l’agriculteur doit adopter une stratégie en cohérence avec la nature. Pour son voisin conventionnel, c’est plus simple puisqu’il peut toujours corriger l’itinéraire avec des pesticides et des engrais de synthèse. Mais en ABC (agriculture biologique de conservation), la stratégie, c’est-à-dire l’anticipation, est cruciale pour éviter les ravageurs et les maladies. Sans oublier, bien sûr, comme l’a dit le maître japonais, l’observation, tellement importante, plutôt que l’action intempestive. L’agriculteur entretient la biodiversité et l’invite à travailler pour lui, forte de ses différentes fonctions afin d’obtenir de meilleurs rendements, de meilleurs produits et… le croira-t-on, moins de travail. Sous la conduite de notre guide, entrons un peu plus dans la pratique pour voir comment on développe la stratégie de gestion des adventices, maladies, et ravageurs.
Le système agroécologique en pratique
L’agriculteur dispose de différents outils végétaux : prairies temporaires, couverts annuels complexes de type Biomax, couverts permanents, cultures associées et réseau écologique.
Alain PEETERS pratique et promeut la technique du Biomax (= maxi biodiversité, maxi production de biomasse), couvert diversifié implanté directement après la moisson, deux ou trois fois dans une rotation, constitué par exemple d’une dizaine d’espèces appartenant à 7 familles botaniques . Les systèmes racinaires sont complémentaires ainsi que les parties aériennes qui captent l’énergie solaire, par ex. les plantes grimpantes comme la vesce s’accrochent aux tiges d’autres plantes, les légumineuses enrichissent le sol en azote. On a pu observer que plus il y a d’espèces végétales, plus il y a de microorganismes symbiotiques des cultures dans le sol, ce qui les protège des pathogènes, aide à l’absorption de l’eau et des éléments nutritifs par les plantes, améliore la structure du sol et favorise les populations de carabes (prédateurs de ravageurs) et de vers de terre. Deux mois plus tard (ou plus tard, au printemps), ce couvert dense peut être écrasé et étiré au rouleau Faca (éventuellement auto-construit) poussé à l’avant du tracteur, formant un mulch (paillage) au travers duquel on peut semer directement la récolte suivante, par exemple un méteil (triticale, avoine, pois). D’autres techniques existent aussi. La composition du Biomax doit être adaptée au contexte pédoclimatique.
Des plantes pour gérer les adventices
La gestion des adventices est assurée majoritairement par des plantes, en premier lieu les prairies temporaires de graminées et légumineuses qui occupent le sol durant deux à trois ans et le nettoient parce qu’elles sont denses et étouffent les adventices. Les légumineuses, en fixant l’azote, font pousser les graminées. Derrière, on peut implanter une culture sans désherbage.
Les couverts annuels ou permanents permettent aussi, mais dans une mesure un peu moindre, de gérer les adventices ; de même, les cultures associées de type méteil (mélange de céréales et légumineuses à graines, récoltées en ensilage ou en grains). Rajoutons que le choix des cultures intervient dans la gestion des adventices en fonction de leur pouvoir couvrant : le seigle est efficace. Le triticale également ou l’avoine qui émettent comme le seigle des substances allélopathiques qui réduisent fortement la croissance des adventices. En outre, au sein d’une même espèce, la génétique est importante : certaines variétés de blés sélectionnées en bio et de blés anciens sont plus hautes que les blés modernes et dotées d’un système foliaire plus couvrant.
Les microorganismes gèrent les maladies
Les maladies, elles, sont gérées par les microorganismes du sol, symbiotiques des plantes de culture, qui protègent les plantes des pathogènes. Malheureusement, après 60 ans d’agriculture conventionnelle (industrielle), les microorganismes sont devenus inactifs. Comment les réveiller ? Eh bien par une grande diversité de plantes car plus il y a de plantes (prairies, couverts), plus il y a une diversité de champignons et bactéries qui fournissent des services aux plantes, notamment la gestion des pathogènes. Les champions sont donc les couverts annuels diversifiés de type Biomax, suivis par les couverts permanents et les cultures associées. La rotation des cultures est favorable également au réveil des microorganismes.
Le réseau écologique contribue à gérer les ravageurs
Les ravageurs sont des insectes, oiseaux, limaces, campagnols… Une belle cohorte diversifiée prompte à se nourrir des plantes cultivées. L’agriculteur va chercher des alliés qui consomment ou parasitent les ravageurs et il va les héberger dans un réseau écologique qu’il développe à proximité de ses cultures. Alain PEETERS préconise des bandes herbeuses et/ou des haies. Les cultures associées aussi, sont favorables par ex. colza associé à féverole et trèfle d’Alexandrie ou association betterave-féverole… Les plantes associées à la culture principale agissent par mécanisme de confusion ; le ravageur ne voit ou ne sent plus la culture principale. Les couverts Biomax abritent beaucoup d’insectes. Rôle positif aussi des prairies temporaires. Tout cela, bien sûr n’est pas magique. Allain PEETERS présente ici un panorama des techniques qui seront approfondies ultérieurement.
Un impératif : augmenter la fertilité du sol
C’est la matière organique du sol qui en assure la fertilité. Elle s’est beaucoup dégradée dans les terres cultivées, les rendant toujours plus dépendantes des intrants chimiques. On redonne donc de la fertilité en augmentant la teneur du sol en matière organique. Alain PEETERS propose une stratégie reposant sur trois critères : séquestration de carbone, restauration de la vie du sol, fixation d’azote. Les prairies temporaires composées de graminées et légumineuses sont les grandes championnes de la séquestration du carbone et de la fixation d’azote. Le couvert non permanent Biomax est le meilleur pour la restauration de la vie du sol. Quant aux couverts permanents, ils sont excellents pour les trois critères, un peu moins toutefois pour la restauration de la vie du sol. Les cultures associées, à un degré moindre, sont intéressantes. Le réseau écologique sous forme de haies et surtout de bandes herbeuses permanentes, jamais travaillées, permettent le développement des champignons mycorhiziens dont les spores sont dispersées par le vent. Les vers de terre s’y développent et peuvent progresser de plusieurs mètres par an dans les sols environnants. Il n’y a donc pas de fatalité à la dégradation de la fertilité du sol. Encore faut-il se donner les moyens de la restaurer et de la maintenir à un niveau élevé. Or produire de l’herbe appelle l’élevage, ce qui n’est guère dans l’air du temps !
Le réseau écologique, niche de biodiversité alliée des cultures
Les araignées attrapent des insectes ravageurs. Les bandes herbeuses sont les lieux d’hivernage et de multiplication de carabes et autres insectes. Les oiseaux des champs et des prairies peuvent y nicher. Rappelons que les carabes, coléoptères noirs de 1,5 à 2 cm de long, sont des alliés très précieux car, voraces, ils se nourrissent de limaces, d'escargots, de vers de toutes sortes, de pucerons, d'acariens ou même de diptères et aussi de graines d’adventices et de déchets divers. Vive les carabes et toute la biodiversité, si souvent mise à mal !
Choisir ses cultures
Les espèces et variétés cultivées ainsi que les races animales doivent aussi retenir toute notre attention. Alain PEETERS y reviendra plus loin. Il faut cultiver des plantes à fort pouvoir de concurrence par rapport aux adventices : blés anciens, seigle, triticale, avoine, chanvre, des mélanges comme le méteil ou le colza associé. La génétique des plantes et des animaux, en outre, est absolument essentielle pour développer de vrais systèmes agroécologiques. Il est important de choisir des cultivars (variétés) sélectionnés dans des conditions à faibles niveaux d’intrants de synthèse.
Et des couverts bien conduits
Pour les prairies temporaires et les couverts, l’agriculteur est attentif à la composition en espèces et cultivars, à la gestion, au tassement du sol et au démontage. Les fauches répétées des prairies temporaires ont tendance à provoquer un tassement du sol ; c’est un point faible auquel il faudra remédier. En ce qui concerne le démontage des prairies temporaires, Alain PEETERS présentera plus loin une technique innovante.
Les Biomax sont semés juste après la moisson, de préférence sans travail du sol, avec une fertilisation pour qu’ils démarrent vite, puis ils sont écrasés ou gyrobroyés avant de semer la culture suivante.
Les couverts permanents sont installés dans une culture principale. L’agriculteur veille à la composition en espèces et cultivars, il les gère en post récolte, veillant à les affaiblir pour semer dedans. Enfin, il les démonte au bout de quelques années quand les adventices deviennent envahissantes.
Gérer les ennemis des cultures, en bref
Alain PEETERS résume en quelques mots les principes d’une gestion agroécologique des trois grandes sortes d’ennemis traditionnels des cultures.
Les pathogènes sont tenus à distance des cultures principalement par les micro-organismes symbiotiques du sol, eux-mêmes stimulés par les couverts diversifiés (Biomax) et la diversité des plantes cultivées. Ainsi sont réglées 90 % des maladies. Quant aux 10 % restants, il existe des techniques complémentaires.
Les ravageurs qui consomment des feuilles sont gérés principalement par les micro-organismes du sol selon un mécanisme encore mal compris mais réel. Par ailleurs le réseau écologique favorise les ennemis naturels des ravageurs comme les pucerons.
Les adventices sont gérées principalement par d’autres plantes avec en tête les prairies temporaires, les couverts et aussi les cultures ppales elles-mêmes. Il arrive qu’il faille toutefois pratiquer un désherbage mécanique dans l’interculture mais si on s’y prend bien, (expérience vécue) celui-ci se réduit à très peu de choses.
Pratiquer l’indispensable rotation des cultures
Mettons fin à la monoculture qui détruit les sols. Alterner les cultures sur les parcelles est une pratique traditionnelle à retrouver absolument en la modernisant. L’ABC (agriculture biologique de conservation) propose deux types de rotation selon que la ferme dispose ou non d’élevage. Une ferme agroécologique bio, rappelons-le, devrait autant que possible associer les cultures et l’élevage. À défaut, le cultivateur s’associe à un voisin éleveur ou contractualise avec lui. La rotation diversifiée des cultures se base sur les prairies temporaires riches en légumineuses qui restaurent la fertilité en apportant du carbone et de l’azote, elles restaurent également la structure et la vie du sol. Elles luttent contre les adventices en éliminant par exemple le chardon et le chiendent, en empêchant la reproduction du rumex et en contrôlant les graminées annuelles. Le sol est nettoyé.
En polyculture-élevage, la rotation comporte des prairies temporaires composées de graminées et légumineuses fourragères, consommées par les animaux, ainsi que des couverts annuels Biomax qui, écrasés ou broyés restent au sol.
Faute d’élevage, la rotation se déroule sous couvert permanent composé, par exemple, de trèfle blanc nain ou de luzerne prostrée (Medicago prostrata), persistant plusieurs années, dans lequel on implante chaque année une culture. Ce système est toutefois moins efficace pour gérer les adventices.
Les deux types que nous venons de décrire peuvent être mêlés.
Des rotations de six ans et plus
Alain PEETERS présente des exemples de rotations simples où se succèdent trois ans de prairie temporaire, du blé panifiable, un Biomax en dérobée, un méteil, mais aussi de l’épeautre semé dans du colza associé. Principe important : des légumineuses la plupart du temps, à condition toutefois de stimuler la vie du sol pour éviter leurs maladies.
Alain PEETERS propose un type de rotation destiné particulièrement à une parcelle en transition vers l’agroécologie dont la fertilité du sol est descendue à un niveau très bas : une seule année de céréale pure entre deux prairies temporaires de un an ou deux.
Il propose en outre d’alterner cultures d’hiver et de printemps. Ces dernières permettent de bien gérer le vulpin qui vient surtout en septembre-octobre. Son cycle de reproduction va être cassé avant le semis de printemps.
Les possibilités de rotation sont très diverses, selon qu’on y introduit, outre les céréales et les prairies temporaires, du maïs, des betteraves, des pommes de terre, du chanvre, des féveroles… mais quoi qu’il en soit, il est important de respecter certains ratios :
- Prairies temporaires : 3 ans sur 7 ans = 43 % de la rotation au minimum (idéalement 40 à 50 %)
- Légumineuses : 100 % de la rotation
- Cultures de printemps : on peut aller jusqu’à 50 % des cultures annuelles mais ne pas dépasser 25 % quand on introduit betterave et pomme de terre, très destructrices de la structure du sol.
- Biomax : 2 années sur 7 soit 30 % de la rotation pour réveiller la vie du sol voire 40 à 50 %.
Lorsqu’on ne peut pas respecter ces ratios, des techniques de compensation deviennent nécessaires.
Changer de paradigme
Ce qui suit est essentiel. Pour faire de l’agroécologie, on pense différemment de la façon dont on pense en agriculture conventionnelle. Celle-ci est basée sur une terminologie et des technologies de guerre ; la publicité pour les pesticides y fait encore référence. Alain PEETERS montre une affiche de l’industrie chimique parue dans la presse agricole. La biodiversité en est absente ; les ravageurs sont là et les pesticides symbolisés par des avions de chasse viennent les attaquer pour les détruire. Tout un état d’esprit résumé dans une image.
S’engager dans l’agroécologie suppose de remplacer la lutte par la coopération avec la nature. D’abord un changement de vocabulaire : oublier la lutte, même biologique et passer à la gestion. On n’est pas dans un combat sans merci contre des sales bestioles, des microbes et des mauvaises herbes, mais dans une gestion des adventices, pathogènes et ravageurs qu’on souhaite tenir à l’écart de nos cultures. Ce vocabulaire témoigne d’un nouvel état d’esprit qui conduit à l’observation, la réflexion et l’action.
Revenir aux racines de l’agronomie : la rhizosphère. Depuis plus de 60 ans de révolution verte, on a oublié la vie du sol, peu de recherches et d’enseignement dans ce domaine ; les vers de terre, on n’en parlait guère jusqu’ici ; les bactéries et champignons sont évoqués comme pathogènes, ignorant que l’immense majorité des microorganismes sont utiles. Or le sol est le fruit de la combinaison entre une roche-mère, un climat et la vie du sol. Ne nous contentons pas d’énoncer cette définition reconnue mais accordons toute notre attention à la seule des trois composantes sur laquelle nous pouvons agir après des décennies et même des siècles d’ignorance et de destruction : la vie du sol.
Changer aussi de paradigme dans la conception des fonctions de l’agriculteur. Produire, oui, mais pas seulement parce que produire est peu rentable, transformer l’est davantage et vendre encore plus. Il faut aller chercher la valeur ajoutée, ce qui crée aussi de l’emploi. En outre, l’agriculteur rend des services écosystémiques utiles à l’ensemble de la société : séquestrer du carbone dans le sol, restaurer la biodiversité, notre bien commun précieux, améliorer la qualité des paysages et de l’eau pure… Il devrait être (et commence à être) rémunéré pour ces services qui relèvent du bien commun.
Ce changement du mode de pensée s’accompagne évidemment de nombreuses questions. L’agriculteur et même le citoyen, intéressés, veulent aller plus loin dans la connaissance de l’agroécologie. Au fond, de quoi s’agit-il ? Alain PEETERS en donne la définition, tout en indiquant que son champ s’agrandit avec le temps.
L’agroécologie imite la nature
Historiquement, l’agroécologie est d’abord une pratique millénaire qu’on retrouve partout dans le monde, par exemple en Amérique précolombienne mais aussi chez nous avec le pré verger pâturé.
Récemment, depuis les années 1980, surtout en Amérique latine, l’agroécologie est devenue une science.
Enfin, c’est un mouvement social qui entend répondre aux aspirations des citoyens voulant consommer sain et local et qui entend aussi enrayer la chute vertigineuse de la population agricole.
L’agroécologie n’est pas une idéologie car, rappelle Alain PEETERS, aucune idéologie ne permet de comprendre le monde, la nature et la société humaine dans leur globalité complexe. L’agroécologie consiste à imiter la nature, comprendre son fonctionnement et le transposer dans des systèmes productifs. Elle a été définie en 10 points par la FAO et plus récemment, en 2019, par un énoncé de treize principes : recyclage, réduction de l’utilisation d’intrants commerciaux de synthèse, santé du sol, santé et bien-être des animaux, restauration de la biodiversité, effets de synergie (gestion des interactions), diversification économique, production conjointe de connaissances (locales et scientifiques), équité dans le travail et le revenu, connectivité, gouvernance des terres et des ressources naturelles, participation des producteurs et citoyens.
L’agriculteur stratège de la biodiversité
Alain PEETERS rappelle comment l’agriculteur traduit ces principes dans l’action, c’est-à-dire quelle est la stratégie écologique de l’agroécologie. Il s’agit de remplacer les carburants fossiles par les services écosystémiques rendus par la biodiversité. Celle-ci, dans le sol, en améliore la fertilité et la structure. Elle élimine des adventices comme le chardon, des ravageurs comme les pucerons. Elle fournit de l’azote au sol par les rhizobiums symbiotiques des racines des légumineuses : c’est loin d’être anecdotique car une luzerne peut fixer 300 à 400 kg d’azote /ha/an, soit le double de ce qu’un agriculteur, en France, épand en moyenne sur ses champs. Les champignons mycorhiziens sur les radicelles des plantes aident celles-ci à absorber l’eau et les sels minéraux. Les pollinisateurs assurent la reproduction de nombreuses plantes. Ce sont quelques exemples de services rendus par la biodiversité, et cela, gratuitement. Enfin pas tout à fait quand même, mais les équipement coûteux peuvent être acquis et utilisés collectivement.
En agroécologie, on investit dans la biodiversité à tous les niveaux, depuis le sol jusqu’au paysage et à la coopération entre agriculteurs et avec des artisans locaux. On se base sur les ressources locales, à commencer par le sol, plutôt que sur l’utilisation massive d’intrants commerciaux. Le système, néanmoins, est intensif, d’abord en observation et en réflexion, avec toujours le souci de l’anticipation. L’agriculteur agit quand c’est nécessaire, puis il est attentif aux résultats et capitalise de la connaissance à partir de son expérience, acquise sur son terroir spécifique, qu’il partage avec ses pairs. Avec eux, il réapprend à voir les choses autrement et retrouve du sens à ce qu’il fait. C’est cela qui est intéressant et rend le métier passionnant. Il a la satisfaction de voir que les choses s’améliorent.
Faire face aux changements climatiques et à la baisse du revenu
Le système est plus résilient par rapport aux changements climatiques : un sol plus riche en matière organique devient moins sensible à la sécheresse ; des variétés plus rustiques y résistent mieux aussi grâce à un système racinaire plus développé.
La pratique agroécologique stocke davantage de carbone et émet moins de gaz à effet de serre, notamment CO2, en ne labourant pas car le labour oxyde les sols et transforme la matière organique en dioxyde de carbone. Et puis le labour demande beaucoup de puissance de traction, et donc de carburant. On n’utilise plus d’azote de synthèse, or c’est l’intrant qui demande le plus d’énergie fossile (gaz naturel). Enfin, grâce aux prairies temporaires, l’éleveur achète moins d’aliments du bétail dont une part importante vient d’Amérique du Sud.
Sur le plan économique la ferme agroécologique diminue nettement les coûts de fonctionnement et d’investissement. On augmente les recettes en faisant des produits de qualité, en les transformant et en les commercialisant. Donc le revenu est supérieur, ce qui a été démontré à de nombreuses reprises.
Trois étapes de transition vers l’agroécologie
Aux agriculteurs conventionnels qui veulent orienter leur ferme vers l’agroécologie, Alain PEETERS propose une démarche en trois étapes. D’abord améliorer l’efficience des intrants commerciaux : analyse de sol et des résidus de nitrates dans le profil, fertilisation adaptée, comptage des pucerons avant de traiter… c’est l’agriculture de précision.
La 2e étape, c’est la substitution : remplacer des intrants de synthèse par des intrants commerciaux organiques et des alliés des cultures ; c’est la démarche de l’agriculture biologique.
La 3e étape conduit à la refonte du système avec un réseau écologique et la restauration de la vie du sol. Des mécanismes de régulation se mettent en place permettant au système de fonctionner par lui-même. les alliés des cultures contrôlent les ravageurs, la vie du sol contrôle les pathogènes, etc. On entre dans la dimension agroécologique.
Comment faire pratiquement : trois possibilités
Supprimer le labour et réduire fortement le travail du sol ; c’est l’agriculture de conservation qui, en regénérant progressivement la qualité des sols permet de réduire les fongicides, insecticides et engrais de synthèse. Mais on utilise encore les herbicides.
Autre voie : suppression immédiate des pesticides et engrais de synthèse ; c’est l’agribio. Mais l’agriculteur bio est contraint par les adventices de maintenir du labour et des travaux intensifs du sol. On n’y restaure donc pas suffisamment la vie et la fertilité du sol.
La 3e voie prônée par Alain PEETERS consiste à combiner ces deux approches pour aboutir à l’ABC (agriculture biologique de conservation), système agroécologique accompli. La bonne nouvelle, c’est que c’est possible ; des expériences le démontrent ; nous en découvrirons plus loin les témoignages. Or les changements nécessaires sont considérables ; c’est une nouvelle façon de penser et d’agir ; l’agriculteur a tout intérêt à se faire aider pour réussir, à ne surtout pas rester seul.
S’y retrouver dans la galaxie agroécologique
De nombreux concepts ont émergé depuis la naissance de l’agriculture biologique, sa reconnaissance et son encadrement réglementaire. Parmi eux, l’agriculture de conservation a séduit un assez grand nombre de cultivateurs qui ne labourent plus mais désherbent et échangent leurs expériences sur les réseaux sociaux ; la biodynamie est proche de l’agriculture biologique et tente de nombreux vignerons ; la permaculture est cousine de l’agroécologie par les techniques mais, davantage philosophique, elle s’applique aussi à l’habitat humain ; l’agroforesterie est une technique souvent utile en agroécologie ; la gestion intégrée des ravageurs est un volet de l’agroécologie ; l’agriculture du carbone est plutôt un concept technocratique restrictif qui ne s’intéresse qu’au carbone ; l’agriculture régénérative, mal définie, est centrée sur la fertilité et la vie du sol, parfois la biodiversité, sans les dimensions économique et sociale de l’agroécologie ; elle ouvre la porte au greenwashing pour les entreprises en mal d’image.
L’agroécologie a progressivement agrandi son domaine ; de la parcelle à la ferme, on l’étend à présent à toute la chaîne alimentaire et donc à l’ensemble de la société. L’agriculture biologique de conservation (ABC) y apporte sa pierre de façon décisive.
C’est un tour d’horizon magistral que nous propose Alain PEETERS dans le cours en ligne et les actions de formation que présente AGRILEARN. L’exposé est clair et structuré, une invitation à approfondir le sujet de l’agroécologie dans ses trois dimensions : scientifique, technique et socio-économique. Des fiches pratiques viendront compléter le présent article, ainsi que les témoignages d’agriculteurs engagés dans la démarche.