Possibilité pour les sociétés civiles agricoles de réaliser des activités commerciales

Par Francis VARENNES – Juriste-fiscaliste

L’article 28 de la loi n° 2025-268 du 24 mars 2025 d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture met fin au principe juridique quasiment dogmatique selon lequel les sociétés de forme civile ne peuvent exercer que des activités civiles alors qu’à l’inverse les sociétés de forme commerciale peuvent exercer toutes activités comprenant notamment des activités civiles, avec ou sans activités commerciales. À l’origine, les activités commerciales devaient s'exercer par l'intermédiaire des sociétés commerciales et les activités civiles par les sociétés civiles. Par la suite, l'introduction de la commercialité par la forme des sociétés a permis de déroger à cette règle concernant les sociétés commerciales (art. L. 210-1 du code de commerce issu de la codification du 1er article de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales). À ce titre, il est possible d'accomplir une activité civile dans le cadre d'une société commerciale alors que le contraire n’était pas envisageable : une société civile ne pouvait pas en principe exercer d’activités commerciales. La loi d’orientation agricole du 24 mars 2025 déroge à ce principe de spécialité des sociétés civiles, s’agissant tout du moins des sociétés civiles agricoles. Rappelons que les sociétés civiles agricoles, telles notamment les GAEC, les EARL, les SCEA, voire les GFA s’ils sont exploitants, doivent exercer une activité civile agricole telle que définie par l’article L. 311-1 du code rural.

Cette disposition issue de la loi agricole du 24 mars 2025 et codifiée sous l’article L. 320-1 du code rural permet aux sociétés civiles agricoles de compléter les activités agricoles par des activités accessoires de nature commerciale. À ce titre, les recettes tirées de ces activités accessoires ne peuvent excéder 20 000 € ni 40 % des recettes annuelles tirées de l’activité agricole. Pour les GAEC, le plafond de 20 000 € est multiplié par le nombre d’associés que compte le groupement.

Cet article conduit à analyser les modalités de mise en œuvre de cette nouvelle solution juridique. À ce titre, il est utile d'apprécier la portée et les conséquences juridiques de ce nouveau dispositif en examinant les sociétés et les activités concernées. De plus, il convient également d’appréhender les conséquences fiscales et sociales de cette nouvelle disposition.

Plan 1. Une solution pas si nouvelle 2. Les sociétés concernées 3. Les activités concernées : une double limite qualitative et quantitative 4. Le formalisme des sociétés concernées 5. La situation particulière des GAEC 6. L’exercice d’activités commerciales dans le cadre de biens loués par bail rural 7. Droit de l’urbanisme et activités commerciales en zones agricoles 8. Les sanctions des sociétés civiles ne respectant pas leur objet 9. Le traitement fiscal des activités non agricoles 10. Le traitement social des activités non agricoles

1. Une solution pas si nouvelle

texte alternatif

Au préalable, il faut noter que l'ouverture juridique permettant aux sociétés civiles agricoles d'exercer des activités commerciales n’est pas nouvelle. Au cours de ces dernières décennies, le législateur a déjà ouvert la brèche à deux reprises selon deux dispositions particulières, avec une portée toutefois restreinte.

En premier lieu, le législateur a formulé la possibilité pour l’ensemble des personnes morales, notamment les sociétés civiles agricoles, de réaliser une activité de production et de vente d’électricité à partir de panneaux photovoltaïques dans des conditions strictes (art. 88-II de la loi du 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement). À l’évidence, cette activité de production et de vente d’énergie n’est pas agricole et doit être qualifiée d’activité commerciale en vertu des dispositions du code de commerce et peut depuis 2010 être exercée en toute légalité par les sociétés civiles agricoles ou non.

En second lieu, la loi en vigueur prévoit la faculté pour toute personne physique ou morale exerçant une activité agricole au sens de l'article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime de pouvoir apporter son concours aux communes, aux intercommunalités et aux départements en assurant le déneigement des routes et le salage de la voirie communale, intercommunale ou départementale au moyen de son propre tracteur et de son matériel d'épandage ou, le cas échéant, de celui mis à disposition par la commune, l'intercommunalité ou le département (art. 10 de la LOA n° 99-574 du 9 juillet 1999). Là encore, les activités précitées ne sont pas des activités agricoles.

2. Les sociétés concernées

Une lecture rapide du nouveau dispositif pourrait conduire à considérer que la possibilité d’exercer des activités commerciales concerne l'ensemble des sociétés civiles. Un examen plus attentif a pour effet de constater que seules les sociétés civiles exerçant une activité agricole sont concernées par le présent dispositif puisque le nouvel article L. 320-1 du CRPM vise les sociétés mentionnées aux chapitres II à IV et VII du titre III du même code.

Cette solution ne fait aucun doute concernant les GAEC et les EARL. Les SCEA semblent également éligibles au nouveau dispositif par le renvoi à l’article L. 327-1 du code rural.

S'agissant des GFA, une application littérale du nouveau mécanisme semble exclure ces groupements puisqu'il faut que la société exerce des activités agricoles tel que définies par l'article L. 311-1 du CRPM. Les GFA dits non exploitants et simplement bailleurs n'exercent pas d'activité agricole. L'activité de location est certes civile mais ne relève pas de la qualification juridique agricole. Seuls les GFA dits exploitants (peu courants dans les faits) exercent effectivement une activité agricole et peuvent invoquer ce dispositif permettant l’exercice d’activités commerciales.

Il est à noter que la production d'électricité issue de panneaux photovoltaïques mentionnée ci-dessus ne fait pas l'objet de cette restriction puisqu'elle concerne l'ensemble des personnes morales, y compris les sociétés civiles immobilières et non les seules sociétés civiles exerçant une activité agricole.

3. Les activités concernées : une double limite qualitative et quantitative

texte alternatif

La nouvelle solution selon laquelle les sociétés civiles agricoles peuvent exercer des activités non agricoles est limitée dans son principe tant sur le plan qualitatif, s'agissant du type d'activités non agricoles pouvant être réalisées, que sur le plan quantitatif, avec une limitation chiffrée des recettes tirées de ces activités non agricoles.

a. Des activités limitées sur le plan qualitatif

Sur le plan qualitatif, la loi précise que les activités non agricoles autorisées doivent être des activités accessoires de nature commerciale et présentant un lien avec l'activité agricole. Ne sont donc pas concernées des activités non agricoles et non commerciales telles notamment les activités artisanales.

Concrètement, un certain nombre d'agriculteurs procèdent à l'acquisition de matières premières auprès d'autres entreprises pour en assurer la transformation et la commercialisation. Dans un certain nombre de cas, ces opérations de transformation sont des activités artisanales, telles des activités de boucherie-charcuterie ou encore de boulangerie-pâtisserie réalisées avec des matières premières ne provenant pas principalement de l'exploitation agricole, ou encore de fabrication de produits laitiers à partir de lait acheté auprès d’autres producteurs (art. L. 111-1 du code de l’artisanat ; art. R. 111-1 du code de l’artisanat).

Plus précisément, les activités précitées reçoivent la double qualification artisanale (du fait de la transformation) et commerciale (en raison de l’achat-revente des matières premières). Une application littérale du nouveau dispositif conduit à exclure ces activités artisanales puisque celui-ci est formellement réservé aux seules activités commerciales.

Pour lever toute ambiguïté, il est utile de rappeler que les opérations de transformation précitées ne sont pas artisanales mais de nature agricole si elles sont réalisées avec des ingrédients qui proviennent de l'entreprise agricole. Dans ce cas, il s'agit d'activités agricoles dans le prolongement de l'acte de production en vertu de l’article L. 311-1 du code rural et non d'activités artisanales.

Par ailleurs, ne sont pas prises en compte les activités libérales qui constituent des activités civiles non agricoles. Cette qualification peut notamment être envisagée en présence d'activités de formation en dehors de l'exploitation, voire sur l’exploitation à défaut de pouvoir être qualifiées d’activités agricoles au titre des activités dans le prolongement de l’acte de production ou ayant pour support l’exploitation. Ce type d'activité semble devoir subir le même sort que des activités artisanales à défaut d'être expressément mentionnées, soit en principe l'impossibilité de réaliser ces activités par des sociétés civiles agricoles. Il est à noter le cas particulier des SCEA qui peuvent exercer des activités civiles non agricoles en plus des activités agricoles.

Selon le nouvel article L. 320-1 du code rural, les activités commerciales désormais autorisées au sein des sociétés civiles agricoles doivent être accessoires et présenter un lien avec l'activité agricole. La formulation très générale conduit à s’interroger sur le type d'activité commerciale concernée.

À l’évidence, il ne peut pas s’agir de toutes activités commerciales. Selon les débats parlementaires, il semble s'agir en premier lieu des activités d'achat-revente. Cette solution concerne les opérations de revente de produits agricoles provenant d'autres entreprises agricoles notamment pour compléter une gamme de produits issus des exploitations qui réalisent une activité de vente directe. Qu’en est-il de la revente de produits non agricoles ou de produits alimentaires qui ne sont pas issus d’entreprises agricoles mais d’entreprises commerciales ? Dans cette hypothèse, le lien avec l'activité agricole peut apparaître distendu pour ne pas dire inexistant.

Par ailleurs, les activités commerciales autorisées semblent recouvrir les activités de travaux d'entreprise agricole réalisées auprès d’autres entreprises agricoles. Qu'en est-il des prestations de services commerciales, certes réalisées avec du matériel agricole, mais qui ne correspondent pas à des travaux d'entreprises agricoles. Il peut s'agir par exemple de prestations de transport avec des tracteurs et des bennes agricoles pour des travaux publics ou encore de travaux de terrassement. Dans ces hypothèses, il est permis de s'interroger sur l'existence du lien avec l'activité agricole pour considérer que ces dernières activités ne sont pas visées par l’article L. 320-1 du code rural.

Il conviendra également de définir le sort des prestations de services de stockage de produits agricoles pour le compte d’autres producteurs agricoles, mais aussi parfois de stockage de produits non agricoles, notamment pour le compte d’entités qui ne sont pas des entreprises agricoles.

D’une façon générale, la nouvelle formulation visant « les activités accessoires de nature commerciale et présentant un lien avec l’activité agricole » pourrait bien constituer un vaste chantier aux contours incertains et une casuistique avec de multiples variantes. Cela étant, cette solution imprécise est peut-être préférable à celle renvoyant à un décret d’application comme cela était prévu par la première version du texte législatif de l’Assemblée nationale. Il était à craindre que le décret d’application ne fût jamais publié en raison des frottements suscités avec les entreprises non agricoles.

b. Des activités limitées sur le plan quantitatif

Sur le plan quantitatif, les activités non agricoles autorisées doivent être accessoires dans la mesure où elles ne peuvent excéder ni 20 000 € ni 40 % des recettes annuelles tirées de l’activité agricole. Pour les GAEC, le plafond de 20 000 € est multiplié par le nombre d’associés que compte le groupement.

Force est de constater que ce plafonnement est sensiblement inférieur aux mécanismes de rattachement comptable et fiscal qui autorisent la réalisation d'activités non agricoles dans les doubles limites de 100 000 € TTC et de 50 % des recettes agricoles TTC (art. 75 du CGI).

La question se pose de savoir si les nouvelles limites de 20 000 € et de 40 % doivent inclure les activités commerciales déjà admises telles que mentionnées ci-dessus ou s'agit-il une enveloppe supplémentaire. La globalisation de l’ensemble des recettes commerciales atténuerait la portée du dispositif puisque certaines sociétés agricoles réalisent déjà des activités commerciales autorisées telles notamment la vente d'électricité issue de panneaux photovoltaïques.

À ce titre, cette activité de vente d'électricité d’origine photovoltaïque peut déjà excéder les nouveaux seuils précités. À l'évidence, une clarification de l'articulation entre le nouveau dispositif et les activités commerciales déjà autorisées serait bienvenue pour ne pas dire nécessaire.

4. Le formalisme des sociétés concernées

Même si la loi autorise expressément les sociétés civiles agricoles à réaliser les activités commerciales précitées, il apparaît toutefois nécessaire de modifier la clause statutaire précisant l’objet qui mentionne les activités que les sociétés agricoles peuvent réaliser.

D’une façon générale, la clause des statuts relative à l’objet des sociétés civiles agricoles se limite en principe à mentionner les activités agricoles telles que définies par l’article L. 311-1 du code rural. Dans ces conditions, afin de permettre la réalisation d’activités commerciales, il apparaît nécessaire que les associés formalisent leur décision dans le cadre d'un procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire qui consacre l'exercice de ces activités non agricoles par la modification de la clause relative à l'objet. En présence de sociétés nouvellement créées, la mention de l’exercice d’activités commerciales doit être directement inscrite dans les statuts sans nécessairement faire l’objet d’un procès-verbal d’assemblée générale.

La clause statutaire relative à l’objet peut être aménagée avec l’ajout de la phrase suivante : « En complément des activités agricoles telles que définies par l’article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime, la société peut exercer des activités accessoires de nature commerciale et présentant un lien avec l'activité agricole, conformément aux dispositions de l'article L.320-1 du même code".

Par la suite, en présence de sociétés préexistantes, cette modification statutaire doit faire l'objet d'une déclaration de modification auprès du guichet unique des entreprises en joignant le procès-verbal d’assemblée générale et les statuts mis à jour, pour être transmise aux différents organismes destinataires (INSEE, RNE, RCS géré par le greffe du tribunal de commerce ou le tribunal judiciaire, service des impôts des entreprises et caisses de MSA).

Dans ce cadre, il serait utile de préciser si les activités commerciales accessoires doivent donner lieu à la création d’un nouvel établissement avec l’attribution par l’INSEE d’un second numéro SIRET. Sur ce point, le code de commerce définit l’établissement secondaire comme « tout établissement permanent, distinct du siège social ou de l’établissement principal et dirigé par la personne tenue à l’immatriculation, un préposé ou une personne ayant le pouvoir de lier des rapports juridiques avec des tiers » (art. R 123-40 du code de commerce). D’aucuns s’interrogent sur l’opportunité de procéder à une adjonction d’activité en lieu et place de la création d’un nouvel établissement.

5. La situation particulière des GAEC

D’une façon générale, les groupements agricoles d’exploitation en commun (GAEC) sont des sociétés civiles agricoles qui font l’objet d’une surveillance administrative particulière en raison de l’avantage que constitue la transparence auquel peuvent prétendre les associés sur le plan fiscal et en matière de règlementation économique (art. L 323-13 du code rural).

À ce titre, la position du ministère de l’agriculture est de considérer que les GAEC étant des sociétés civiles agricoles, il n'entre pas dans leur objet de consacrer une partie de leur activité à des prestations de service, telles que la réalisation de travaux agricoles ou les prestations de traitements antiparasitaires par exemple. Il s'agit en effet d'activités de nature commerciale, qui en aucun cas ne peuvent être considérées comme situées dans le prolongement de l'acte de production ou avoir pour support économique l'exploitation agricole. À ce titre, les GAEC ne peuvent se prévaloir de leur statut agricole pour diffuser des offres publicitaires liées à ces prestations et les réaliser. Toute activité de ce type exercée au sein du GAEC l'expose au risque de perdre son agrément pour dépassement de son objet légal. Il appartient au préfet de prononcer ce retrait d'agrément pour tout dysfonctionnement de ce type au sein du GAEC, qui ne respecterait pas la réglementation en vigueur (circ. DGPAAT/SDEA/C2011-3032 du 27 avril 2011).

Avec la loi nouvelle, il est permis de considérer que le développement précité est désormais caduc dans la mesure où il s’agit d’activités commerciales effectivement admises.

Comme mentionné ci-dessus, le plafond de 20 000 € est multiplié par le nombre d’associés sans dégressivité jusqu’à la limite de 10 associés, ce qui peut conduire à la réalisation d’un chiffre d’affaires commercial maximal de 200 000 € à la condition que ce montant n’excède pas 40 % des recettes agricoles. Enfin, il n’est pas prévu de régime d’autorisation administrative à la différence des activités extérieures réalisées par les associés de ce type de sociétés. En revanche, la modification statutaire de l’objet doit donner lieu à une information de l’autorité administrative dans les délais prescrits (art. 323-19 du code rural).

6. L’exercice d’activités commerciales dans le cadre de biens loués par bail rural

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La plupart des sociétés agricoles sont conduites à mettre en valeur des biens immobiliers agricoles qui appartiennent à différents propriétaires. Le plus souvent, ces biens sont loués par les sociétés ou par les associés exploitants qui mettent les biens en location à disposition des sociétés d’exploitation. Les baux conclus relèvent en principe du statut du fermage. Cette configuration conduit à s’interroger sur la compatibilité des activités commerciales désormais autorisées et la conclusion de ces baux ruraux. Concrètement, la réalisation des activités commerciales peut être effectuée notamment dans le cadre de bâtiments en location qu’il s’agisse de locaux pour les activités d’achat-revente ou de garages du matériel servant aux activités commerciales de travaux d’entreprises agricoles. Sur ce point, il faut rappeler que l’article L. 411-1 du code rural précise que le statut du fermage concerne toute mise à disposition à titre onéreux d'un immeuble à usage agricole en vue de l'exploiter pour y exercer une activité agricole définie à l'article L. 311-1 du code rural.  Dans quelle mesure l’utilisation de biens immobiliers agricoles loués par bail rural est effectivement compatible avec l’exercice d’activités commerciales sans risquer la résiliation du contrat de location ? Par le passé, la Cour de cassation a pu admettre que la création par le preneur d’une activité commerciale (semble-t-il accessoire) dans les lieux loués ne suffit pas à elle seule à résilier le bail dès lors que cette activité ne compromet la bonne exploitation du fonds (Cass. Civ III 27/01/1977, BC 49). Il faut bien avouer que cette solution ancienne est incertaine. En revanche, la jurisprudence est intransigeante si le bail rural comporte une clause qui interdit expressément toute activité commerciale avec l’obligation de cesser sans délai les activités non agricoles réalisées (Cass. 14/05/1997, n° 95-14.377).

7. Droit de l’urbanisme et activités commerciales en zones agricoles

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Le plus souvent, les entreprises agricoles sont situées en dehors des zones urbanisées pour être implantées dans des zones agricoles ou naturelles. À ce titre, la constructibilité de ces territoires est en principe réservée aux bâtiments d’exploitation utilisés pour l’exercice des seules activités agricoles. La possibilité de réalisation d’activités commerciales par les sociétés agricoles conduit à rappeler les règles applicables en ce domaine. Pour tout dire, l’article L. 320-1 du code rural issu de la loi d’orientation agricole du 24 mars 2025 qui permet l’exercice d’activités commerciales par les sociétés civiles agricoles n’apporte aucune dérogation au droit de l’urbanisme. Le principe de la constructibilité limitée demeure tant pour l’obtention de permis de construire ou de permis d’aménager. De même, la procédure de déclaration est également applicable en cas changement de destination avec une opposition par les autorités compétentes si la destination envisagée n’est pas conforme aux règles d’urbanisme. Il est utile de rappeler qu’en matière d’urbanisme, les activités agricoles sont entendues de façon stricte notamment à l’exclusion des activités agritouristiques et des prestations équestres, quand bien même ces dernières activités sont juridiquement agricoles selon l’article L. 311-1 du code rural. Cette solution est applicable, que les communes soient régies par un plan local d’urbanisme (PLU) ou par une carte communale, ou soumises au principe d’inconstructibilité des terrains situés hors des parties urbanisées de la commune déterminé par le règlement national d’urbanisme (RNU) en l’absence des documents précités. À titre d’illustration, un arrêt du 6 février 2024 de la Cour de cassation a précisé que l’utilisation d’un bâtiment agricole pour un usage commercial en contradiction avec le plan local d’urbanisme est une infraction pénale en application du code de l’urbanisme. La cour suprême a exigé la remise en conformité des lieux (Cass. 6/02/2024, n° 23-81.748). D’une façon générale, le fait d’affecter à une utilisation contraire aux dispositions du plan local d’urbanisme des constructions régulièrement édifiées en vue d’une autre affectation constitue une violation de ce plan et correspond au délit prévu à l’article L. 610-1 du code de l’urbanisme.  À titre dérogatoire, les communes régies par un PLU peuvent procéder à la révision du document d’urbanisme par l’adoption de deux dispositifs particuliers : - en premier lieu, le règlement peut, à titre exceptionnel, délimiter dans les zones naturelles, agricoles ou forestières des secteurs de taille et de capacité d'accueil limitées (STECAL) dans lesquels peuvent être autorisés des constructions (entendues pour un usage non agricole) (art. L. 151-13 du code de l’urbanisme) ; - en second lieu, dans les zones agricoles, naturelles ou forestières, le règlement peut notamment désigner, en dehors des secteurs ci-dessus, les bâtiments qui peuvent faire l'objet d'un changement de destination, dès lors que ce changement de destination ne compromet pas l'activité agricole ou la qualité paysagère du site (art. 151-11 du code de l’urbanisme). D’une façon générale, il convient de s’interroger sur la portée de ces principes lorsque les activités commerciales sont accessoires et étroitement imbriquées avec les activités agricoles. Il peut en être ainsi lorsque l’entreprise réalise une activité d’achat-revente accessoire à une activité principale de vente directe. De même, cette situation se présente avec les bâtiments servant de garage à un parc de matériel agricole qui est accessoirement utilisé pour des prestations de travaux d’entreprise agricole. À l’évidence, une clarification sur le traitement de ces activités commerciales accessoires au regard du droit de l’urbanisme serait bienvenue.

8. Les sanctions des sociétés civiles ne respectant pas leur objet

texte alternatif L’ouverture permettant la réalisation d’activités commerciales par les sociétés civiles agricoles conduit à s’interroger sur les conséquences juridiques du dépassement des limites autorisées qui pour certaines sociétés risquent d’être rapidement atteintes.

Selon la jurisprudence des juridictions de l’ordre judiciaire, l'exercice d'une activité commerciale par une société civile au-delà de l'accessoire peut conduire à différentes sanctions.

À ce titre, les solutions jurisprudentielles peuvent aboutir :  - soit à consacrer l'émergence d'une société commerciale de fait parallèle à la société civile (CA Rouen 22/11/1995, JCP E 1997 II n° 992) ; - soit à procéder à la requalification de la société civile en société commerciale de fait si les activités commerciales deviennent prépondérantes (Cass. civ. 3ème 5/7/2000, n° 98-20.821).

Cette jurisprudence concerne pour l'essentiel des sociétés civiles immobilières (SCI) qui ont développé des activités immobilières de nature commerciale. Il nous semble que la solution devrait être la même s’agissant de sociétés civiles agricoles qui outrepasseraient les limites des activités non agricoles autorisées.

Les désagréments de la qualification de la société civile en société commerciale de fait ne sont pas négligeables puisque celle-ci perd sa capacité juridique. La perte de la personnalité morale a pour effet l’incapacité juridique avec notamment pour conséquence l’impossibilité d'agir en justice, par exemple pour recouvrer les créances auprès de débiteurs récalcitrants.

De plus, la qualification en société sans personnalité juridique a pour effet d'instaurer une responsabilité financière illimitée et solidaire des membres de la société commerciale de fait en cas de difficultés financières des sociétés concernées.

Enfin, les sociétés sans personnalité juridique ne remplissent pas les conditions pour être considérées comme agriculteurs actifs et ne peuvent percevoir les aides financières de la PAC.

9. Le traitement fiscal des activités non agricoles

texte alternatif L’exercice d’activités commerciales par les sociétés civiles agricoles conduit à aborder le volet fiscal en analysant les conséquences en matière d’imposition des bénéfices, de TVA et de fiscalité locale.

Sur ce point, les activités agricoles font l’objet de dispositions spécifiques qu’il s’agisse des régimes d’imposition des bénéfices agricoles au titre de l’impôt sur le revenu avec les régimes réels agricoles et le régime du micro-BA, des règles de TVA avec le régime simplifié de TVA agricole et les modalités d’application des différents impôts locaux que sont notamment la contribution économique territoriale et la taxe foncière des propriétés bâties. La réalisation d’activités commerciales par les sociétés civiles agricoles conduit à la perception de recettes commerciales qui en principe ne relèvent pas des règles fiscales agricoles s’agissant des trois volets précités que sont l’imposition des bénéfices, la TVA et les impôts locaux.

a. Conséquences fiscales en matière d’imposition des bénéfices

Sur ce point, la loi d'orientation agricole de 2025 n'apporte pas d’élément nouveau. À ce titre, il existe déjà un mécanisme comptable et fiscal qui permet le rattachement des recettes non agricoles aux recettes agricoles (notamment pour les recettes de l’agritourisme et de la vente d’électricité photovoltaïque). Ce mécanisme codifié sous les articles 75 et 206-2 du CGI est applicable par les sociétés civiles agricoles qui ne font pas application du régime de l'impôt sur les sociétés.

Il est à noter que certains praticiens procèdent à une confusion en considérant que ce mécanisme de rattachement comptable et fiscal autorise sur le plan juridique les sociétés civiles agricoles à réaliser toute activité commerciale. Il est évident que cette solution n'est pas fondée comme le rappelle à juste titre le ministère de l'Agriculture dans la réponse ministérielle Clément du 24 septembre 2013. Cette réponse précise ainsi que les dispositions spécifiques au droit fiscal n'ont pas vocation à s'appliquer en matière de droit rural ou de droit des sociétés, en raison de l'indépendance des réglementations en vigueur. La législation fiscale ne peut donc pas justifier la réalisation d'activités commerciales par des sociétés civiles (si celles-ci ne sont pas expressément autorisées) (RM Clément JOAN 24/9/2013).

Le nouvel article L. 320-1 du CRPM confirme cette autonomie entre les principes juridiques et les solutions fiscales et pour le coup donne un fondement juridique à la réalisation d'activités commerciales par les sociétés agricoles avec toutefois des limites chiffrées sensiblement inférieures aux limites fiscales.

Rappelons que les recettes non agricoles peuvent ainsi être rattachées aux recettes agricoles dès lors que ces recettes non agricoles n'excèdent pas les doubles limites mentionnées ci-après, à savoir 100 000 € TTC et 50 % des recettes agricoles TTC (avec une multiplication du plafond de 100 000 € par le nombre d'associés au sein des GAEC dans la limite de 4) (art. 71 du CGI).

Plus précisément, ce mécanisme de rattachement comptable et de simplification fiscale ne concerne que les entreprises qui relèvent d'un régime réel des bénéfices agricoles. Autrement dit, les sociétés agricoles qui font application du régime fiscal du micro-BA ne peuvent pas mettre en œuvre ce mécanisme de rattachement fiscal.

Rappelons que le régime du micro-BA a fait l'objet d'une revalorisation assez substantielle du plafond annuel de recettes réalisables, soit désormais 120 000 € HT (art. 64 bis du CGI ; art. 69 du CGI). En plus des entreprises individuelles, ce régime simplifié du micro-BA concerne les GAEC (avec une multiplication dégressive du plafond de 120 000 € par le nombre d'associés) (art. 71 du CGI) et les EARL unipersonnelles (art. 69 D du CGI).

Concrètement, pour les sociétés qui font application du régime du micro-BA, les recettes commerciales réalisées par ces sociétés agricoles ne peuvent pas être rattachées fiscalement aux recettes agricoles pour faire l'objet de l'abattement forfaitaire de 87 %. Le résultat des activités commerciales réalisées par les sociétés civiles agricoles au micro-BA doit être déterminé distinctement.

Cette solution est clairement confirmée à la fois par l'article 206 du CGI et les commentaires de l'administration fiscale au sein du BOFIP. L’article 206-2 du CGI précise que pour les sociétés relevant du régime prévu à l'article 64 bis (régime du micro-BA) et qui ne sont pas passibles de l'impôt sur les sociétés lorsque les activités accessoires visées aux articles 34 et 35 du code de commerce qu'elles peuvent réaliser n'excèdent pas les seuils fixés à l'article 75 : les bénéfices résultant de ces activités sont alors déterminés et imposés d'après les règles qui leur sont propres.

Selon les commentaires de l’administration fiscale, les recettes accessoires commerciales ou non commerciales réalisées par les sociétés civiles relevant du régime micro-BA sont imposées distinctement, selon un régime réel d'imposition, d'après les règles prévues en matière de bénéfices industriels et commerciaux ou de bénéfices non commerciaux. (BOI-BA-CHAMP-10-40, § 230)

Sur ce point, il faut rappeler que le régime simplifié du micro-BIC n'est applicable que dans le cadre des entreprises individuelles à l’exclusion des sociétés (sauf l'exception des EURL) (art. 50-0 du CGI).

Cette solution est quelque peu complexe puisqu’elle oblige au retraitement comptable des sociétés concernées afin de déterminer un sous-résultat commercial. Ce résultat commercial doit faire l'objet d'une déclaration spécifique dans le cadre d'une liasse fiscale propre à la nature des recettes réalisées.

Concrètement, les associés des sociétés concernées sont imposés, d'une part, au titre du micro-BA sur la quote-part des recettes agricoles déclarées et diminuées de l'abattement forfaitaire de 87 % et, d'autre part, sur la quote-part du résultat commercial tel qu'il ressort du régime réel BIC mis en œuvre par la société au micro-BA au titre des activités commerciales autorisées.

Rappelons pour mémoire que les sociétés civiles agricoles qui réalisent des recettes commerciales excédant les limites chiffrées précitées deviennent de plein droit soumise au régime de l'impôt sur les sociétés (IS), que ces sociétés agricoles relèvent d'un régime réel des bénéfices agricoles ou du régime du micro-BA.

Sur ce point, les limites d'application du régime de l'IS correspondent aux limites fiscales mentionnées ci-dessus (soit 100 000 € et 50 % des recettes agricoles) et non aux limites juridiques du nouvel article L. 320-1 du code rural. Autrement dit, la réalisation de recettes commerciales au-delà des seules limites de 20 000 € ou de 40 % des recettes agricoles n’a pas pour effet que les sociétés commerciales deviennent de plein droit soumises au régime de l’impôt sur les sociétés.

b. Conséquences fiscales en matière de TVA

Au préalable, il faut rappeler que les activités agricoles entendues au sens fiscal font l'objet d'un régime spécifique de TVA (art. 298 bis du CGI) qui est distinct du régime général applicable aux activités commerciales, artisanales ou libérales.

Dans l'absolu, la réalisation d'activités commerciales par les sociétés civiles agricoles oblige à faire application du régime général de TVA en parallèle du régime de TVA agricole.

Toutefois, la législation fiscale prévoit un régime de simplification qui consiste à permettre le traitement de la TVA non agricole au sein du régime de TVA agricole dès lors que les différentes activités sont effectivement soumises à l'application de cet impôt (art. 298 bis (III bis) du CGI).

Sur ce point, les limites de rattachement sont harmonisées avec celles concernant les modalités de rattachement des recettes commerciales aux recettes agricoles appliquées par les entreprises qui relèvent d'un régime réel d'imposition des bénéfices, soit 100 000 € et 50 % des recettes agricoles.

Les activités commerciales désormais autorisées par le code rural s’inscrivent dans ce dispositif fiscal et il est fort probable que les activités en question seront traitées au sein du régime de TVA agricole quand bien même elles relèvent en principe du champ d’application du régime général.

c. Conséquences fiscales en matière d’impôts locaux

Il convient également d'apprécier les conséquences de l'exercice d'activités commerciales par des sociétés agricoles en matière de fiscalité locale. D'une façon générale, les entreprises agricoles sont exonérées de la contribution économique territoriale composée de la cotisation foncière des entreprises (art. 1450 du CGI) et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (art. 1586 ter du CGI). Cette exonération est limitée aux seules activités agricoles entendues au sens fiscal.

De même, les bâtiments agricoles sont en principe exonérés de la taxe foncière sur les propriétés bâties. Ces solutions d'exonération supposent l'exercice à titre exclusif d'activités fiscalement agricoles (art. 1382 (6°) du CGI).

La réalisation d'activités commerciales conduit en principe à la remise en cause des exonérations précitées et au paiement de ces impôts quand bien même ces activités seraient accessoires et réalisées par une société civile agricole juridiquement autorisée à développer ces activités.

Sur ce point, le nouvel article L. 320-1 du code rural ne modifie pas le périmètre des exonérations précitées. Les activités commerciales légalement autorisées par les sociétés civiles agricoles conduisent au paiement des impôts locaux précités.

Il est à noter la tolérance légale qui permet de ne pas subir la remise en cause de l'exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties si les activités non agricoles sont accessoires. Ainsi, l’exercice d'une activité accessoire mentionnée à l'article 75 du CGI n'est pas de nature à remettre en cause l'exonération de la taxe foncière lorsque la moyenne des recettes tirées de l'exercice de cette activité dans un bâtiment agricole au cours des trois années précédant celle de l'imposition n'excède pas 10 % de la moyenne des recettes tirées de l'activité totale réalisée dans ce bâtiment au cours des mêmes années (art. 1382 (6°) du CGI ; BOI-IF-TFB-10-50-20-10, § 470s.).

  1. Le traitement social des activités non agricoles

Il convient enfin de s’interroger sur le traitement social des activités commerciales réalisées par les sociétés civiles agricoles. Le questionnement est de savoir dans quelle mesure les activités non agricoles relèvent effectivement du régime social agricole pour constater que certaines activités devraient en principe dépendre du régime social des indépendants désormais géré par l’URSSAF.

Sur ce point, il convient d’examiner le champ de compétence du régime social agricole tel que formulé par les articles L. 722-1 et suivants du code rural s’agissant du régime de protection sociale des non-salariés des professions agricoles dont relèvent en principe les associés actifs non-salariés des sociétés civiles agricoles.

À ce titre, il faut constater que certaines activités juridiquement commerciales sont socialement agricoles. Il en est ainsi notamment des activités de travaux d'entreprise agricole réalisées pour le compte d'autres exploitations agricoles (art. L 722-2 et s. du CRPM). Sans ambiguïté, ces activités relèvent du régime social agricole quand bien même celles-ci sont de nature commerciale sur le plan juridique.

Il n'en est pas de même des activités de prestations de service de travaux pour le compte d'entreprises non agricoles. Cela étant, ces activités n'apparaissent pas pouvoir relever des activités commerciales pouvant être réalisées par les sociétés civiles agricoles. Dans ces conditions, la question sociale ne devrait pas se poser.

Par ailleurs, qu'en est-il des activités d'achat-revente ? En tant que telles, ces activités ne relèvent pas du régime social agricole pour dépendre de la compétence du régime général.

Cela étant, la jurisprudence de la Cour de cassation a à plusieurs reprises formulé la solution selon laquelle les activités commerciales accessoires d’achat-revente à une activité agricole principale relèvent du régime social agricole (Cass. soc. 22/10/1970, n° 69-11855 ; Cass. 14/05/1992, n° 90-14716). 

De même, il convient de mentionner l’arrêt de la Cour de cassation en date du 16 juin 1989 concernant une société de forme commerciale à objet principalement agricole et exerçant à titre secondaire une activités commerciale d’achat-revente ne relevant pas du régime social agricole. Selon la Cour suprême, les fonctions de gérant exercées par une seule personne étant indivisibles, celles de gérant d'une société à objet principalement agricole constituent une activité unique de nature agricole (Cass. 14/6/1989, n° 86-16887). Dans ces conditions, les personnes concernées affiliées en tant que non-salariés ne relèvent que du seul régime social correspondant à l'activité principale exercée par la société.

Dans ces conditions, il n’apparaît pas nécessaire d’appliquer l’article L. 171-3 du code de la sécurité sociale qui formule le principe de la simplification sociale des personnes pluriactives et qui précise que les personnes qui exercent simultanément une activité indépendante agricole et une activité indépendante non agricole sont affiliées, dans le seul régime de leur activité la plus ancienne.

En résumé, l’exercice d’activités commerciales par les sociétés civiles agricoles selon les nouvelles prescriptions du code rural ne devrait pas soulever de difficultés particulières sur le plan de leur traitement social s’agissant tout du moins des questions d’affiliation et du paiement des cotisations sociales.

Cela étant, il conviendra de clarifier les modalités d’application de l’ATEXA (assurance accident du travail et maladies professionnelles des exploitants agricoles) lorsque le fait générateur du paiement des prestations correspondantes résulte de l’exercice d’activités commerciales qui en tant que telles ne relèvent pas du régime social agricole.