Auteur : Yves LE GUAY
D’après la série de vidéos intitulée " Introduction aux notions de bien-être animal " dont l’auteur est Delphine POTTIER
Nous devrions rendre grâce aux animaux pour leur innocence fabuleuse, et leur savoir gré de poser sur nous la douceur de leurs yeux inquiets sans jamais nous condamner... Christian BOBIN
Dans le monde fracturé, éclaté, émietté, où les liens entre les êtres sont tellement distendus, où l’écoute, la bienveillance et l’empathie sont devenues si rares, à l’heure des réseaux sociaux envahis-sants et souvent violents, dans ce monde dominé par la finance sans visage et le profit sans égard, nous avons tellement besoin de nous relier aux autres ! Pourquoi ? Parce que c’est par les liens que nous nourrissons nos besoins psychologiques d’appartenance et de reconnaissance. Qui sont les autres aux-quels nous relier ? Eh bien ce sont les humains, nos frères, mais aussi les animaux, nos cousins plus ou moins proches dans l’évolution. Et bien sûr, il s’agit aussi de retisser nos liens ancestraux avec la Terre que les Indiens des Andes appellent Pachamama (Terre-mère), la matrice du monde vivant que nous malmenons si sauvagement depuis des générations. Enfants gâtés, insouciants et irrespectueux.
Un mouvement s’emploie, à travers le monde, à renouer ces liens vitaux, c’est ONE WELFARE, que Delphine POTTIER, vétérinaire engagée dans le bien-être animal, nous a fait découvrir dans les formi-dables cours en ligne dont nous avons rendu compte précédemment à propos des porcs . Elle consacre une nouvelle série de vidéos spécifiquement à One Welfare (Un seul Bien-être) sur agrilearn.fr. Avec la sensibilité, la précision et la maîtrise du discours qu’on lui connaît, elle s’emploie ici à présenter les dif-férentes facettes du concept qui va bien au-delà de la seule réponse à la maltraitance animale en éle-vage. Il s’agit, comme nous venons de le dire, de rétablir le lien maltraité qui unit l’Homme à l’Animal, le lien qui unit les humains entre eux, le lien qui nous unit tous, humains et animaux, à la Terre, notre matrice commune. Un programme formidablement ambitieux et stimulant qui appelle à l’action !
Le large champ de One Welfare Contrairement à ce que certains propos réducteurs laissent entendre, One Welfare ne se limite pas à la seule problématique de la maltraitance animale en élevage. Le concept et le mouvement qu’il inspire à travers le monde vont bien au-delà ; il ne faut pas les galvauder, au risque d’en réduire l’impact. L’approche One Welfare est structurante ; elle invite à penser globalement et à agir localement. Des associations welfaristes se sont constituées un peu partout. On sait que santé humaine et santé animale sont liées puisque des maladies se transmettent d’une espèce à l’autre. C’est le concept One Health (Une seule santé) qui inspire One Welfare à l’origine.
Delphine POTTIER diffuse une courte vidéo qui présente One Welfare, une base de réflexion théorique et d’action pratique qui anime depuis longtemps son propre parcours professionnel de vétérinaire en alerte. Sous la bannière One Welfare, on retrouve les problèmes de maltraitance dans les élevages mais aussi les chiens dangereux, le commerce illégal d’espèces sauvages… bref, un large spectre organisé en cinq sections qui nous aident à en appréhender les différentes facettes :
- Maltraitance et abandon des animaux, en relation avec la maltraitance et la négligence humaines.
- Implications sociales et amélioration du bien-être des animaux.
- Santé et bien-être des animaux, bien-être humain, sécurité alimentaire et durabilité.
- Assistance aux interventions des animaux, des personnes et de l'environnement.
- Durabilité : connexions entre la biodiversité, l'environnement, le bien-être des animaux et le bien-être humain.
Rien n’est figé ; le champ s’élargit au fil du temps et de l’intérêt qu’il suscite à travers le monde.
**Reconnaissance institutionnelle et internationale ** En France, One Welfare a été reconnu dès 2018 par La Coopération Agricole. La chaire bien-être animal de VetAgro-Sup a réalisé en 2020 une vidéo pédagogique présentant le concept du One Welfare.
L’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) voit One Welfare comme un cadre pour favoriser l’application des normes de l’OIE sur le bien-être animal et reconnaît le rôle de ses collaborations inter-disciplinaires en faveur du bien-être des animaux, en appui au développement durable mondial. Une approche commune du bien-être des animaux, des humains, de la biodiversité et de l’environnement contribue en effet aux objectifs de développement durable des Nations-Unies, notamment dans la re-cherche d’une agriculture durable (objectif 2, Faim zéro), la promotion du bien-être à tout âge (objectif 3 : Bonne santé et bien-être), la préservation des écosystèmes de la santé de la planète (objectif 15 : Vie terrestre). Rappelons que nous sommes censés atteindre les dix-sept objectifs du développement durable de l’ONU en 2030 ! Il y a urgence.
À l’origine, une femme d’action Parmi les pionniers qui ont contribué à lancer le concept et initié le mouvement à partir de 2014, citons Rebeca Garcia PINILLOS, vétérinaire espagnole, également diplômée de l’université de Reading en Angleterre, devenue conférencière de renommée internationale. L’entreprise sociale qu’elle a créée, One Welfare Community Interest Company, est à but non lucratif. Elle a initié des plateformes de médias sociaux, rédigé et diffusé les bases du concept, suscité la collaboration interdisciplinaire et lancé la marque et son logo, désormais mondialement reconnus.
Pour plus d’informations, on peut suivre le site de One Welfare CIC : www.onewelfareworld.org
Travailler en coordination
Mettre en œuvre One Welfare sur le terrain nécessite de nouer des collaborations, de travailler en équipe interdisciplinaire, afin d’agir sur les trois piliers de One Welfare en même temps. Ainsi, affirme Delphine POTTIER, One Welfare peut nous aider à réaliser la transition vers un élevage plus respec-tueux de l’humain, de l’animal et de l’environnement.
Parmi les acteurs du changement, le consommateur n’est pas en reste. L’acte d’achat est déterminant pour orienter les distributeurs, les transformateurs et les producteurs vers des pratiques plus vertueuses.
Si on a du monde qui arrive à acheter des produits élevés dans de bonnes conditions c’est-à-dire au prix qui va avec, ça continuera, il y aura toujours du monde à bien faire les choses. Si les gens achètent du prix (en grande surface), eh bien on aura des élevages inten-sifs ! Ça dépend vraiment des consommateurs. Manger moins de viande mais de bonne qualité !
Anne-Gaëlle ARZEL
Éleveuse de porcs plein air bio à Penhoadic (Finistère)
Décrypter les étiquettes L’agro-industrie a élaboré un foisonnement de labels supposés informer le consommateur mais où il est difficile de se retrouver tant ils segmentent le marché. Ce foisonnement n’aboutit-il pas finalement à noyer le poisson des bonnes pratiques en noyant le consommateur ? One Welfare peut servir de bous-sole dans la jungle des étiquettes. Delphine POTTIER invite le consommateur à s’interroger : le cahier des charges qui sous-tend l’étiquette est-il respectueux à la fois du bien-être animal, humain et de notre environnement. S’il ne l’est pas, alors, nous dit-elle, n’achetez pas le produit !
La démarche de vigilance suppose évidemment de savoir ce qu’on entend par bien-être animal, plus large, on le sait, que la bientraitance, puisqu’il prend en compte les besoins psychologiques de l’animal, et ce qu’on entend par bien-être humain, en particulier celui de l’éleveur pour qui son métier est porteur de sens et d’une légitime fierté dans une relation d’empathie avec ses animaux. Delphine POTTIER a précisé ces notions dans son cours en ligne évoqué plus haut, consacré au bien-être conjoint de l’éleveur de porcs et de ses animaux.
Quelle vérité ? Comment se retrouver dans la jungle des étiquetages ? Même en bio, signalé par la mention AB, on peut trouver d’autres mentions comme Bio cohérence, Ecocert, Demeter, Nature & Progrès… Chacun cherche à se distinguer : c’est moi qui lave vraiment le plus blanc. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Delphine POTTIER qui sait manier l’ironie appelle à l’aide Coca-Cola dont le site explique les différences entre étiquettes bio et promeut bien sûr sa marque Honest, la boisson bio que les consommateurs attendaient. Oh l’insoutenable attente ! Est-ce ainsi que Coca-Cola tente de nous faire oublier qu’il est désigné depuis plusieurs années comme le no1 des pollueurs plastiques , devançant Pepsico et Nestlé ? Nous faire oublier aussi son rôle dans la progression inquiétante de l’obésité. Et dire que Coca-Cola a sponsorisé la COP 27 à Charm el-Cheikh en 2022 ! Champion du greenwas-hing , bravo l’artiste !
Malheureusement, même les labels supposés vertueux cachent parfois la vérité. Le jambon bio, par exemple, se garde bien de mentionner la castration systématique des porcelets. Comment le consomma-teur peut-il savoir qu’en matière de logement, les élevages bio français, même s’ils offrent presque majoritairement du plein air aux truies, maintiennent le plus souvent enfermés les porcs à l’engrais ? Quand le consommateur découvre une réalité différente de l’image véhiculée par le label, il en vient à se méfier de toutes les étiquettes dont il juge finalement les promesses mensongères. D’où la tendance à se tourner vers le circuit court.
Le circuit court a le vent en poupe Face à l’agro-industrie, le circuit court progresse, comment s’en étonner ? Il permet au consommateur de rencontrer le producteur et de se faire expliquer le cahier des charges, voire de se rendre sur la ferme pour découvrir les conditions d’élevage. Quoi de plus explicite que de voir l’éleveur au milieu de ses animaux ? La confiance qu’ils manifestent et l’empathie réciproque ne peuvent que donner confiance au consommateur. Mieux vaut la transparence et le débat que le secret. Tout n’est jamais parfait mais l’éleveur peut expliquer les améliorations qu’il prévoit, par exemple l’arrêt de la castration.
Si vous voulez manger des produits animaux, faites en sorte de choisir des produits provenant d’élevages respectueux des besoins des animaux. Il y en a ! Association WELFARM Refuge pour animaux d’élevage à Vauquois (Meuse)
Expliquer et montrer Toutefois, choisir de faire autrement que la majorité n’est pas facile dans un milieu prompt à dénigrer celui qui s’éloigne du modèle. Delphine POTTIER rappelle qu’il faut savoir argumenter, mais la parole, pour utile qu’elle soit, ne suffit pas ; il est bon aussi de montrer ses compétences d’éleveur, son savoir-faire, son savoir être et son savoir devenir par lesquels l’éleveur met en évidence les valeurs auxquelles il est attaché.
Le type d’élevage est un choix de vie pour l’éleveur et, d’une certaine façon aussi, pour le consommateur conscient (consomm-acteur).
On est utiles par l’exemple qu’on donne d’un autre monde possible ; oui, c’est possible de faire une agriculture paysanne ! Sylvain WÜRBEL, berger, domaine de Farigoule à Clansayes (Drôme)
Pour illustrer son propos, Delphine POTTIER montre sur le site CIWF Agroalimentaire la vidéo de Thierry SCHWEITZER, paysan charcutier alsacien, récompensé aux Trophées Bien-être Animal 2011. S’il ne coche pas encore toutes les cases, assurément il n’en est pas loin.
One Welfare sur le terrain, c’est possible
Ses porcs sont élevés sur paille (nécessitant une trentaine d’ha de céréales) en bâtiment ouvert, avec une surface allouée aux animaux, confortable. Tout son système est construit sur une réflexion approfondie qui prend en compte le bien-être des animaux qui vivent en groupe et fouillent, l’environnement social (le regard de la société) et écologique : la paille piège l’azote des déjections, amende en douceur les terrains, libère l’azote progressivement. Cette réflexion, il ne la conduit pas seul mais en dialogue avec des associations de protection animale et des associations de consommateurs. Il la partage avec une petite équipe d’éleveurs associés pour la transformation et la commercialisation en circuit court sous une marque qui porte son nom, encadrée par un cahier des charges de bien-être animal, pour une production d’environ 200 porcs par semaine. Il ne coupe ni les queues ni les dents, ne recourt pas systématiquement aux traitements, nourrit sans OGM. La queue n’est pas une anomalie, nous dit l’éleveur ; l’anomalie, c’est le système d’élevage qui fait qu’on ne peut pas la garder ; c’est lui qu’il faut repenser. Depuis peu il ne castre plus non plus mais recourt à la vaccination d'immunocastration (interdite en bio). Le travail est plaisant, nous dit-il, quand on sait pourquoi. On fait un travail d’éleveur : observer, regarder, sentir, entendre… quelque chose de sympa qui est accepté socialement. Abaisser sans cesse le prix de revient n’est pas un but.
L’éleveur doit pouvoir vivre de son travail Toutefois, ajoute-t-il, le prix doit rémunérer l’éleveur. *Celui-ci est responsable de ce qu’il fait. En face, le consommateur est responsable, lui aussi, au regard de ce qu’il va acheter (un peu plus cher) et de la façon dont il va consommer. Il faut qu’il soit informé, qu’il sache comment les animaux sont élevés, logés, nourris ; il s’agit d’un acte d’achat responsable. *
Ce témoignage très instructif montre que le changement est possible dans le sens de One Welfare.
L’élevage, c’est un patrimoine de l’humanité, c’est une dynamique historique qui est le ré-sultat d’une lutte des paysans pour sauvegarder leur territoire, sauvegarder leurs races, leurs relations aux animaux. On vit avec les animaux, on travaille avec eux, on transforme le monde avec eux, on survit grâce à eux. L’animal nous raccroche à la nature, nous ap-prend vraiment ce que c’est que vivre en étant un parmi le monde naturel. Dans une petite ferme, on vit avec des chats, des chiens, des poules, des brebis, un cheval… avec toutes ces espèces, on rentre dans leur monde. Et pour les animaux, pareil : avec toutes ces espèces, c’est drôlement intéressant. On en a besoin, et comment faire pour que ce soit le plus équi-table possible ? Jocelyne PORCHER INRAE - Montpellier
Se nourrir sain, bio et local
La société demande de plus en plus une alimentation bio, locale, plus saine, et aussi un mode de production plus durable, comme on dit, c’est-à-dire respectueux de la terre (le sol, l’eau, la biodiversité), des animaux et des humains. Pas d’éleveur heureux sans des animaux heureux a démontré Delphine POTTIER dans ses deux cours en ligne précédents ; elle y reviendra. Le circuit court, on vient de l’évoquer, permet de savoir ce que l’on mange. Dans la restauration, qu’elle soit collective ou commerciale, c’est plus difficile. En contrat avec des entreprises, des administrations, des établissements, des institutions, la restauration collective qui sert, en France, trois milliards de repas par an a pourtant un rôle crucial à jouer dans la transition alimentaire. Un label a d’ailleurs été créé pour elle : « Ecocert en cuisine ».
En osant appliquer One Welfare en élevage, on simplifie les processus de production des animaux et des produits carnés, qu’on ramène à l’échelle humaine, on simplifie les circuits de distribution et on éclaire les actes d’achat. *De la fourche à la fourchette, *on trouve des solutions éthiques et remplies de sens, notamment l’autonomie, l’empathie et la solidarité, attachées au bien-être conjoint des animaux et des humains, car l’un ne va pas sans l’autre, dans le respect de l’environnement à l’échelon local et aus-si, plus largement à l’échelle de la planète. One welfare peut vraiment rassembler pour oser les changements ensemble.
*Éleveur et animal, une histoire, deux bien-être ? *Tel est le titre interrogatif d’un colloque organisé en février 2022. Les étudiants organisateurs ont réalisé une enquête auprès de consommateurs pour savoir si le lien éleveur-consommateur était ou non définitivement rompu. Delphine POTTIER y revient plus loin.
Avec les robots, on perd ce contact avec les animaux qu’on a depuis des milliers d’années. Un animal qui te lèche, c’est sale ? c’est juste du contact. Avec nos brebis, on est en interdépendance : elles ont besoin de nous, on a besoin d’elles. Il faut l’accepter. Igor MARCONNET GAEC Bouclette et Compagnie, à Saint-Martin-en-Vercors Brebis laitières lacaunes, fromages
D’abord regarder ensemble comment renforcer le lien homme-animal domestique, puis le lien humain et le lien à la terre.
Renouer le lien homme-animal à la ferme
Alors que l’industrialisation a surtout donné à l’élevage français la forme de porcheries-usines, de stabulations surpeuplées, voire de fermes entièrement robotisées, Laure, Nicolas, Annabelle et d’autres éleveurs choisissent une voie différente pour offrir une existence plus digne à leurs animaux, du début à la fin.
Au fil du documentaire tendre et optimiste d’Oliver DICKINSON, Un lien qui nous élève, nous voyons leurs efforts récompensés par la relation, riche de sens, qu’ils tissent avec leurs bêtes. Un lien qui nous élève tous.
Moins on a de rapports avec les animaux, moins on les connaît, moins on a envie de les connaître. Les animaux nous renvoient quelque chose qu’on est en train de perdre, quelque chose de notre humanité, justement. L’humanité et les animaux, c’est une his-toire concomitante : le Néolithique, l’installation de l’homme dans une vie sédentaire, ça passe par les animaux ; ils nous accompagnent depuis très longtemps ; c’est eux qui nous ont faits ce qu’on est. Le bon exemple, c’est le chien, passé du loup au chien ; il est devenu autre chose que le loup, au contact de l’homme, et nous avec. Notre rapport au monde a changé ; on ne regarde plus les choses de la même façon… avec un peu d’amour. Moi, mes chèvres, elles m’apportent l’oxygène que je prends avec elles tous les jours, les beautés que je vois et qui me rendent heureux, et en échange, je les emmène, je leur montre les bons endroits où il y a de la bouf. Elles ont confiance, sinon elles ne me suivraient pas. Sylvain WÜRBEL, berger, domaine de Farigoule à Clansayes (Drôme)
Depuis l’ère préhistorique, les humains ont évolué, des civilisations se sont développées, promouvant des techniques et des savoir-faire nouveaux, et puis des philosophies, des connaissances, des sciences et des arts qui ont permis à l’intelligence et à la sensibilité des humains de s’épanouir. En même temps, les animaux domestiques ont aussi évolué à notre contact et nous savons aujourd’hui qu’ils sont plus intelligents et sensibles qu’on ne le pensait, ce qui appelle de mieux les connaître et de les traiter en les respectant.
Ce ne serait pas juste de ne pas les respecter, nos brebis ; elles nous donnent leur lait, leurs agneaux, leur toison. Nous aurons des pulls offerts par nos brebis ! On a choisi ce métier pour vivre en harmonie avec nos bêtes, pas pour abuser d’elles. Il y a vraiment un contact qui peut s’établir avec les brebis, autre que « montre-moi ta mamelle ». Ce serait aberrant de nier ce lien. Laure MARCONNET, GAEC Bouclette et Compagnie, à Saint-Martin-en-Vercors
L’éthologie nous éclaire Parmi les sciences récentes figure l’éthologie, c’est-à-dire l’étude scientifique des comportements animaux. Les découvertes des éthologues, dans le monde entier, sont passionnantes. Ils nous expliquent scientifiquement ce que les gens qui aiment les animaux connaissent intuitivement, au moins en partie, à la lumière de leurs propres observations. C’est le cas des éleveurs qui se battent pour offrir une vie digne à leurs animaux.
Au cours de mes stages et du service de remplacement, ce qui m’a le plus marqué, c’est de voir des éleveurs amoureux de leurs bêtes et des bêtes amoureuses de leur éleveur. Il y a un lien évident. Nicolas CLOUET à Noirmoutiers (Vendée) Vaches maraîchines, pommes de terre, traction animale
Une attirance naturelle pour les animaux
Si nous remontons le temps, nous voyons que les animaux fascinent les humains depuis l’origine de l’humanité. Bien avant que l’idée leur vienne, il y a plus de 10 000 ans, de les domestiquer, ils les ont peints sur les parois des grottes et ont apposé les mains à côté d’eux. Depuis lors, nous nous en sommes rapprochés au cours d’une longue relation de proximité. Regardez aujourd’hui le succès des parcs animaliers ; regardez les enfants en visite à la ferme ou dans un salon agricole : intrigués, émerveillés, attirés, voulant les toucher, les caresser. Et en classe, ils les dessinent et adorent réaliser des exposés sur les animaux. Ils ont une appétence naturelle, une attirance pour les animaux, c’est ce que soutiennent des psychologues en s’appuyant sur la notion de biophilie qui postule une tendance humaine innée à se rapprocher des animaux.
Familiarisés avec justesse, dans le respect de leurs besoins naturels d’espèce, et donc bien dans leur tête, les animaux domestiques ne craignent pas l’humain et nous invitent volontiers à la relation.
Un animal curieux est un animal en bonne santé. Lia, animatrice pédagogique Association WELFARM
Le porc est curieux, il s’approche pour nous voir, tend son groin comme on tend la main. Face à un groin de cochon, un mufle de vache, un nez de cheval, un museau de mouton ou de chèvre, tendu délicatement vers vous, qui se retiendra de le toucher ? Ce geste veut dire bonjour et on ne peut qu’y répondre par une caresse.
C’est sur cet attrait primitif, la biophilie, que se base la médiation animale, quelque chose de fondamentalement naturel. La maladie, le handicap, les difficultés d’intégration ou de réinsertion peuvent empêcher les relations sociales. Marcher avec un animal, le caresser, le soigner… l’animal, confiant, ne porte pas de jugement, il permet à la personne de reprendre confiance en soi et envers les autres. De nombreuses expériences en témoignent.
Les jeunes handicapés qui sentent qu’on les juge, qu’on ne les considère pas positivement, l’influence des animaux leur est vraiment très bénéfique. Hélène MARQUETTE Association WELFARM, à Vauquois (Meuse)
Et puis, le rouleau compresseur de la Révolution verte… Après des millénaires de compagnonnage où la relation entre l’humain et l’animal s’est approfondie, survient la Révolution Verte, la brusque et considérable modernisation de l’agriculture, d’inspiration industrielle, qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, initiant ce qu’on appelle aujourd’hui l’agriculture conventionnelle, le système dominant. On décide alors, nous dit Delphine POTTIER, de considérer l’animal comme un simple objet, en particulier le porc et la volaille. L’agro-industrie a pris son essor de façon systématique, de la ferme à l’assiette, avec son cortège de souffrances animales et aussi humaines. Le système maintient les animaux dans des fermes-usines toujours plus grosses et robotisées, hors de la vue des consommateurs.
J’ai travaillé dans une ferme en élevage intensif. Ça vous prend au nez ; on n’arrive même plus à respirer. Anne-Gaëlle ARZEL Éleveuse de porcs plein air bio à Penhoadic (Finistère)
Pour arriver à supporter la souffrance de ses animaux, l’éleveur s’aveugle délibérément et se prive de toute empathie, perdant ainsi le sens de son métier. Il n’est plus éleveur mais producteur. Producteur isolé d’ailleurs, puisqu’il ne rencontre pas les consommateurs et de moins en moins ses collègues, sous prétexte de sécurité sanitaire. Plus il est seul, plus il est vulnérable, exposé au découragement. Les alertes des défenseurs de la cause animale, exprimées publiquement avec un certain écho depuis 1963 avec la parution du livre Animals machines de Ruth Harrison n’ont guère réussi à faire bouger les choses pendant des décennies, si ce n’est à la marge. C’est dire la puissance de l’agro-industrie, présentée comme la seule voie pour produire de façon rationnelle, en quantité suffisante, une alimentation standardisée, respectant les normes sanitaires, et bon marché. N’oublions pas que face à l’accroissement de la population mondiale plane la menace, réelle ou fantasmée, de pénurie alimentaire.
Sortir du système agro-industriel ? Les attentes des consommateurs évoluent pourtant dans un autre sens. La mondialisation des échanges, considérée longtemps comme un remède aux famines, manifeste des fragilités, d’autant plus qu’elle concentre énormément les pouvoirs de décision.
On a démarré avec une petite ferme pédagogique puis on a découvert les (chèvres) roves. On a découvert qu’on pouvait avoir un autre lien avec les animaux. C’est une révélation par rapport à mes études en BTSPA . Annabelle WÜRBEL Domaine de Farigoule à Clansayes (Drôme)
Loin des verts pâturages et des scènes bucoliques du berger conduisant son troupeau de chèvres roves dans les bosquets de chênes, les producteurs de porcs de l’agro-industrie travaillent enfermés dans leurs bâtiments. La souffrance des éleveurs et des animaux incline à vouloir abandonner ce modèle mortifère. Face à lui, sommes-nous réduits à l’impuissance ? Delphine POTTIER affirme que non. On peut sortir, dit-elle, du système agro-industriel pour envisager un meilleur avenir. Les liens peuvent être restaurés. Des éleveurs qui se sont extirpés du système en témoignent ; ils méritent d’être écoutés car leur démarche est inspirante, dans la direction proposée par One Welfare.
Néanmoins, l’écrivain Anatole FRANCE prévient :
Tous les changements, même les plus souhaités, ont leur mélancolie, car ce que nous quittons, c’est une partie de nous-mêmes ; il faut mourir à une vie pour entrer dans une autre .
Un changement considérable, à négocier avec soin Mais attention, le changement vers un système plus vertueux ne peut pas se faire du jour au lendemain. Pourquoi ? Parce que le changement n’est pas seulement technique ; il est économique, financier, social… et d’abord psychologique. Il s’agit d’une remise en cause complète d’un métier qui s’est dévoyé mais qui présente un cadre conceptuel et professionnel parfaitement structuré, normatif et encadré, axé sur la performance technico-économique, totalement dépendant des intrants. Le producteur qui en a adopté le mode de pensée et les croyances, même s’il en souffre, ne peut pas pratiquer sans dommage le trapèze volant et se lancer dans le vide pour attraper un autre trapèze qui, d’ailleurs, n’existe pas, parce qu’il est à construire. Il ne va pas substituer à un modèle conçu hors de lui, un autre modèle clé en main. C’est ça le changement : passer d’un encadrement strict à une autonomie de pensée et d’action.
Alors, face à cet inconnu à construire, il n’est pas question de rester seul dans la démarche de changement où l’éleveur va passer par différents états psychologiques s’apparentant à un deuil. Le modèle proposé en 1969 par Elisabeth KÜBLER-ROSS aide à comprendre les différentes phases du changement et le temps nécessaire pour les vivre successivement toutes. Nous l’avons évoqué dans l’article consacré au bien-être animal. Une phase dépressive fait partie du cycle. C’est là qu’il faut appeler des éleveurs qui ont réussi le changement. S’entourer de collègues bienveillants, discuter, cheminer, débattre. Le film *L’usine des animaux *présente un couple d’éleveurs qui en font partie ; leur témoignage est bouleversant. Il s’agit pour eux de retrouver le sens de leur métier, un besoin impérieux.
Le besoin de sens prouvé par les neurosciences
Nous avons tous besoin de sens et de cohérence, en permanence. Vous en doutez ? Eh bien réfléchissez à une situation où ce que vous avez fait n’avait pas de sens et entrait en contradiction avec vos choix essentiels, vos valeurs. Par exemple, vous n’avez pas tenu parole ou vous avez malmené quelqu’un injustement. Vous avez ressenti un malaise et rien qu’à vous le remémorer, le malaise point encore. Ce phénomène, la dissonance cognitive, qu’on croit éducatif est en fait lié au fonctionnement du cerveau ; il vient du fond des temps. C’est ce que nous apprend Sébastien BOHLER dans le livre Où est le sens ? À la jonction des deux hémisphères cérébraux se trouve le cortex singulaire antérieur qui cherche du sens et de la cohérence en permanence, faute de quoi surviennent anxiété, mal-être, interrogation profonde du sens de votre vie, avec un risque, il ne faut pas l’oublier, de démobilisation, de conflit interne durable, de dépression. Mais c’est d’abord pour chacun de nous une ressource insoupçonnée.
Ruser avec le cortex singulaire Pourquoi évoquer ici cette découverte des neurosciences ? Eh bien parce que justement cette quête de sens peut détourner le producteur de porcs ou de volailles du modèle agro-industriel qui ne correspond pas à ses valeurs et l’inciter plutôt à chercher une autre voie. À moins qu’il ne ruse avec le cortex singulaire.
Pour étouffer le malaise qu’il provoque, on peut en effet anesthésier provisoirement le cortex singulaire en cherchant des distractions dans des activités parfaitement balisées et superficielles comme les séries télévisées, la performance sportive ou même les drogues, qui donnent l’illusion de retrouver la maîtrise de ses actions. Mais le problème non résolu des grands enjeux de l’existence va resurgir, évidemment.
Conditions pour retrouver du sens Pour retrouver du sens dans notre vie personnelle et collective (les deux sont indissociables), trois conditions fondamentales :
1 - Être en accord avec ses choix : quel alignement entre mes valeurs, préférences, goûts, et ce que je fais dans ma vie, typiquement ma vie professionnelle : ma mission, mon impact sur le monde, sur mes clients, ma relation aux collègues, correspondent à ce qui compte le plus pour moi, au fond de moi, dans mes convictions.
2 – M’intégrer à un collectif, m’engager, créer des liens avec des personnes engagées dans le même mouvement. Me rendre compte que nous partageons les mêmes valeurs fondamentales, construire dans la durée, épaulé par les autres. Le collectif est un puissant vecteur de sens.
3 – Partager une vision de l’avenir.
La dissonance cognitive est propre à chacun. Et Delphine POTTIER de nous dire : Vos valeurs et vos actes vous appartiennent. Ne laissez personne dire à votre place ce que vous vivez intérieurement, que vous seriez ou non en dissonance cognitive. Il ne tient qu’à vous de faire vos propres choix et de donner du sens à votre vie. Personne n’a le droit de vous les imposer en vous dictant votre conduite !
Or la révolution industrielle a conduit à considérer que la réalisation de soi s’accomplit dans le confort personnel, écartant ainsi la question du sens, analyse Sébastien BOHLER. Consommer te rendra heureux. Mais cette promesse n’est pas tenue. Pour deux raisons. D’abord en agissant de cette façon, nous détruisons le monde lui-même, donc nous détruisons notre capacité à avoir un futur, et en plus ça ne nourrit pas une partie fondamentale de notre être, le besoin de cohérence et de projection dans l’avenir, c’est-à-dire de sens.
*C'est dans l'absolue ignorance de notre raison d'être qu'est la racine de notre tristesse et de nos dégoûts. * Anatole FRANCE
Retrouvons notre capacité d’émerveillement devant la nature et le fonctionnement de l’univers, cette nature qu’il faut cesser d’abîmer. S’émerveiller apaise profondément ; on peut l’observer dans le cerveau : apaisement du cortex singulaire, cette partie de nous qui depuis l’aube du temps cherche du sens et de la cohérence.
Agir maintenant Malheureusement, des éleveurs de porcs en grand nombre au sein de l’agro-industrie ont perdu le sens de leur travail, rappelle Delphine POTTIER qui les connaît bien pour les avoir côtoyés depuis vingt ans. Certains, encore trop peu nombreux, ont néanmoins réussi à le retrouver en optant pour l’agroécologie, mais, attention, pas isolément. Seul, répétons-le, c’est trop dur et trop risqué. Or c’est maintenant qu’il faut agir si nous tenons au métier d’éleveur, aux animaux, à la planète et à ses habitants car nos choix d’aujourd’hui déterminent notre société de demain. Il s’agit de nous et de nos enfants. One Welfare éclaire le chemin. Il est grand temps de renouer le lien homme-animal qui grandit l’humanité. Et Delphine POTTIER de citer GANDHI :
On peut juger de la grandeur d’une nation et ses progrès moraux par la façon dont elle traite les animaux.
Développer l’empathie à la lumière de l’éthologie Deux mots essentiels guident l’éleveur sur le chemin de One Welfare : empathie et éthologie. L’empathie mobilise l’hémisphère droit du cerveau, celui des émotions ; faisons-lui confiance. Rappelons que l’empathie est un concept assez récent, créé à la fin du 19e siècle par un philosophe et utilisé depuis lors en psychiatrie et en sociologie. Passé finalement dans le langage courant, sa définition reste discutée . Considérons qu’il s’agit d’une capacité propre à l’être humain, innée, présentant trois facettes : émotionnelle, cognitive et motivationnelle, qui permettent de se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent. Une condition toutefois : être soi-même, autant que faire se peut, en état de bien-être. En souffrance, vous aurez beaucoup plus de mal à entrer en empathie avec l’autre, humain ou animal, nous dit Delphine POTTIER. La connexion humain-animal sera brouillée.
Si l’éleveur est stressé, il va passer à côté d’un animal qui n’est pas bien. Il faut que l’éleveur soit dans de bonnes conditions, soit content de travailler là, et l’animal rend à l’éleveur ce calme. Tout un cercle vertueux. C’est un cheminement qui prend du temps. Anne-Gaëlle ARZEL Éleveuse de porcs plein air bio
S’informer et comprendre, grâce à l’éthologie
Le second mot, éthologie, rappelle qu’il ne faut pas seulement solliciter son cerveau droit. Être empa-thique, oui, mais sans tomber dans l’anthropomorphisme qui n’est pas bénéfique pour l’animal. C’est l’hémisphère gauche du cerveau, rationnel, qui nous conduit à agir à bon escient, dans la parfaite con-naissance de l’animal auquel on prodigue des soins appropriés à son espèce. À ce titre, l’éthologie por-cine, comme nous l’avons montré dans un précédent article, ne cesse de nous apporter de précieuses connaissances sur le cochon, animal injustement méconnu.
Connaître les animaux et être sensible à leur sort pour les comprendre et en prendre soin, sans toutefois les considérer comme des êtres humains qu’ils ne sont pas, mais respecter leur personnalité propre et leurs besoins d’espèce. C’est tout le contraire de ce que fait le système agro-industriel qui est une ma-chine à souffrance animale et humaine. Delphine POTTIER qui a gardé précieusement dans sa biblio-thèque l’album Martine à la ferme demande aux parents et enseignants d’offrir aux enfants l’occasion de visiter une ferme agroécologique et de caresser les animaux pour construire leur empathie et le respect de l’autre ; ils en ont besoin. À rebours de la brutalité du monde.
La traite manuelle (des ânesses) est un moment plus que magique de grande proximité, de douceur ; nous sommes à deux, dans une bulle, à ce moment-là. Quand on trait, c’est l’ânesse qui envoie le lait. L’ânesse, on l’appelle par son nom, elle vient dans l’espace de traite et elle nous donne son lait sans être entravée, ni attachée. Je pense qu’elle ressent son métier d’ânesse laitière comme un échange. Je leur apporte de l’affection, un profond res-pect, et je crois aussi que tout ce que je leur donne, en fait, je le reçois. La société des ânes représente la société telle que je voudrais l’idéaliser : il n’y a pas de prise de pouvoir, il y a transmission des savoirs, il y a de l’entraide, pas de rejet, l’autre est toujours intéressant. Ça m’a permis de mettre des mots sur mon utopie humaine. Martine RULENS Éleveuse d’ânesses laitières à Graulhet (Tarn)
La sensibilité au sort des animaux est nécessaire si on veut être un bon éleveur, un bon intervenant en élevage. Il est grand temps, martèle Delphine POTTIER, de passer d’un système d’élevage industriel comparable à une machine à cochons à un système d’élevage plus respectueux du vivant où le lien serait renoué.
Entre les animaux familiers et les animaux d’élevage, il y une catégorie d’animaux dont l’utilité est de plus en plus reconnue, on pourrait les appeler animaux thérapeutes ou médiateurs. Quelques mots sur leurs bienfaits.
Les bienfaits de la médiation par l'animal La médiation animale est une clé pour renouer le lien vital humain-animal. Les animaux domestiques ont besoin de nous pour vivre. Mais nous avons aussi énormément besoin d’eux pour construire notre humanité.
Les animaux sont très patients avec nous ; je prends l’exemple des juments où parfois je suis maladroit : « C’est pas grave, mon gars, on t’en veut pas du tout ; et puis demain, on sera encore disponibles ». C’est très précieux ; je connais peu d’hommes capables de ça ; on en sort forcément grandi. Nicolas CLOUET Éleveur de vaches maraîchines, traction animale, à Noirmoutiers (Vendée)
La zoothérapie désigne l’ensemble des démarches thérapeutiques réalisées grâce à l’action de l’animal. Cette forme de médiation animale est en fait utilisée depuis des siècles. Des établissements spécialisés en soins pour troubles mentaux faisaient déjà intervenir les oiseaux, des chats, des chevaux ou des chiens dans leur travail avec leurs patients dès le 19ème siècle. Les professionnels sont formels, l’intérêt de la zoothérapie est avéré et même précieux, que les patients souffrent de problèmes psychiques (dépressions, autisme, troubles psychiatriques) ou physiques (personnes en situation de handicap, malentendantes, non-voyantes, accidentées…). La thérapie par l’animal est aussi utilisée dans le cas de maladies longues face auxquelles le moral du patient est vital dans son combat.
Médiation animale pour les personnes âgées
Le Dr Maria TASANA qui a consacré sa thèse universitaire à la zoothérapie en EHPAD, fait directement référence à la biophilie :
De toutes les thérapies qui ont vu le jour ces dernières années, la zoothérapie est peut-être celle qui s’appuie sur l’un des plus anciens et des plus constants phénomènes naturels : le lien étroit qui se tisse entre l’être humain et l’animal.
Ce qu’il y a de merveilleux avec la médiation animale, dit Delphine POTTIER, c’est que cette thérapie naturelle fonctionne avec toutes les générations. En maison de retraite où il est difficile pour un résident d’avoir son propre animal de compagnie, la présence des animaux qu’on y fait venir rompt la monotonie de l’existence. Le but est de créer un lien avec l’animal. Au-delà des câlins qu’ils donnent, on va essayer de faire passer les résidents du rôle de soigné à soignant ; c’est très important pour le sentiment d’utilité. Ainsi les animaux améliorent le bien-être des personnes âgées. Des reportages émouvants le montrent très bien.
Le contact des animaux permet aux personnes âgées de s’ouvrir et de communiquer tout en réduisant leur stress. Cette pratique permet aussi de travailler la motricité de manière ludique. On assiste à la longue à des modifications progressives et, parfois pour certains, qui restent acquises sur le long terme. La seule présence d’un animal suscite des émotions et provoque des réactions positives, quelle que soit la situation. Pourquoi ? Peut-être parce que chaque individu se tenant face à l’animal, à condition, bien sûr, que sa santé le permette, ressent de l’intérêt pour un autre être vivant que soi.
Médiation animale et l’enfant
La médiation animale a des effets bénéfiques sur les jeunes enfants :
• Une expérience multisensorielle qui favorise l’éveil,
• Le développement de la confiance en soi et de l’autonomie,
• L’exploration de la motricité globale et fine,
• La sociabilisation.
Les enfants peuvent ainsi interagir avec l’animal, le toucher, le brosser ou le prendre dans les bras lorsque c’est possible (lapin, cochon d’Inde), lui donner à manger, etc. Ils apprennent ainsi à respecter l’animal et à gérer leurs réactions émotionnelles.
Le site *Le Guide Santé *mentionne les effets thérapeutiques de la médiation animale, à tout âge. Elle améliore et développe : • L’estime de soi et la confiance en soi, • La communication verbale, • Les compétences sociales, • Les interactions avec les autres et le bien-être social, • La motivation pour atteindre des objectifs de bien-être, • La motricité, les mouvements articulaires, la rééducation fonctionnelle.
Et les robots, alors ? On offre de plus en plus de robots animaux aux enfants, moins contraignants qu’un animal de compagnie. Pensez-vous, interroge Delphine POTTIER, qu’ils répondent vraiment aux critères de développement sensorimoteur évoqués plus haut ? Qu’ils puissent devenir de véritables confidents pour nos bambins ? Ceux-ci apprendront-ils l’empathie et l’entraide auprès de ces jouets aux interactions plus que limitées ?
La controverse de la viande « L’élevage industriel représente sans doute la plus mauvaise utilisation de ressources de l’histoire de l’humanité. C’est la façon la moins chère possible de produire des millions et même des milliards d’animaux pour nourrir la population humaine ». Tel est le message d’ouverture du film de Benoît BRINGER , Faut-il arrêter de manger des animaux ? sorti en 2018.
Pour nourrir, en effet, une population toujours plus nombreuse, le monde s'est lancé dans une course à la productivité frénétique qui engendre une cruauté souvent ignorée à l'encontre des animaux, mais aussi des problèmes sanitaires et environnementaux majeurs. Partout sur la planète, l'élevage industriel fait des ravages.
Ce film-reportage, positif et optimiste, montre qu’il existe d’autres modes d’élevage qui respectent l’environnement et pratiquent l’empathie envers les animaux. Il interroge : quel monde veut-on laisser aux générations futures ? Quel type d’alimentation veut-on produire et voir dans nos assiettes ?
Delphine POTTIER rappelle que nous sommes encore 74 %, en France, à nous déclarer omnivores, 24 % flexitariens et seulement 2,2 % à avoir opté pour des régimes sans viande. (INSEE 2020). Il est sain que notre conscience écologique grandisse. On n’a pas besoin de manger autant de viande que nous le faisons. Trop de viande nuit à la santé. Si on souhaite consommer de la viande, en quantité raisonnable, on peut tout naturellement opter pour plus de qualité en se tournant vers des élevages empreints de One Welfare.
La mise à mort des animaux d’élevage Peut-on aimer et respecter les animaux tout en les sacrifiant pour nourrir les humains ? La question est polémique, soulevée non seulement par les activistes anti-élevage mais aussi par des philosophes ; on ne peut pas l’évacuer d’un revers de main. L’excellent documentaire d’Oliver DICKINSON, cité plus haut, Un Lien qui nous élève, évoque l’abattage à la ferme. De plus en plus d’éleveurs le réclament.
Le problème de départ, pour le cochon élevé en extérieur, c’est déjà de le faire monter dans une bétaillère pour l’amener à l’abattoir. La contention, c’est le début du stress chez l’animal. Si on abat plein champ, c’est instantané. Stéphane DINARD Éleveur de porcs plein air Collectif Quand l’abattoir vient à la ferme
Les mener à l’abattoir, c’est un sale coup. On les envoie dans un bâtiment plein d’odeurs et de bruits, avec un niveau de stress élevé. S’il y avait possibilité de tuer à la ferme, on aime-rait, nous les bio, que nos animaux soient bien traités jusqu’au bout. Anne-Gaëlle ARZEL Éleveuse de porcs plein air bio à Penhoadic (Finistère)
Emmener les bêtes à l’abattoir, c’est le compromis pour continuer l’élevage, la biodiversité, le métier. L’année dernière, j’ai emmené Queen, une vache de 16 ans ; je n’ai pas eu l’impression de lui offrir une mort à la hauteur de sa vie. C’est nouveau pour moi de m’autoriser des émotions autour de ça (l’abattage) et d’en prendre conscience. Je serais plus à l’aise de tuer les animaux moi-même dans le troupeau en ayant l’impression d’assumer pleinement mes responsabilités (plutôt que de les envoyer se faire tuer ailleurs). Nicolas CLOUET Éleveur de vaches maraîchines, traction animale, à Noirmoutiers (Vendée)
L’abattage : pour l’animal et l’éleveur, c’est important de ne pas rompre le lien, de garder le sens, le sens qu’on a eu depuis la naissance, de ne pas avoir le sentiment de trahir. L’abattage à la ferme permet d’éviter la rupture. Jocelyne PORCHER INRAE - Montpellier
Le collectif Quand l’abattoir vient à la ferme,animé par Stéphane DINARD et Jocelyne PORCHER, travaille sans relâche pour le projet d’abattage à la ferme, plébiscité par des éleveurs soucieux d’accompagner leurs bêtes de la naissance à la mort pour leur éviter le stress du transport et le stress à l’abattoir. Le consommateur-citoyen a aussi un rôle à jouer dans cette démarche vers la légalisation de l’abattage à la ferme. Reste toutefois pendante la question de la mise à mort des animaux qui oppose les défenseurs radicaux de la cause animale aux éleveurs et aux consommateurs de viande. Réfléchissons : qui sont les vrais ennemis des animaux ?
Arrêtons nos querelles ! Les éleveurs, dans leur grande majorité, ne sont pas, ils le montrent, ennemis des animaux ; au contraire. À qui profitent les querelles entre végans et carnivores ? Delphine POTTIER le dit : la bataille nuit aux deux parties mais profite aux véritables ennemis des animaux. Pourquoi ? Eh bien, pendant que végans et carnivores se déchirent, les agro-industriels et GAFAM, eux, avancent : les uns avec la mise en place de l’intelligence artificielle et de la reconnaissance faciale dans les élevages devenus fermes usines, la disparition des éleveurs, techniciens et vétérinaires et la mort programmée du bien-être animal ; les autres, encore plus sournois, en nous habituant progressivement aux robots animaux, aux robots d’aide aux personnes âgées et… à la viande in-vitro. Leur objectif est d’éliminer totalement les animaux domestiques et de devenir incontournables dans toutes les facettes de nos vies, de la prime jeunesse au grand âge, alimentation comprise. Ces scénarios sont effrayants ; ils sont pourtant écrits depuis longtemps, affirme Delphine POTTIER.
Et d’exprimer un vœu : qu’on se réunisse enfin entre défenseurs des animaux en empêchant leurs en-nemis de nous diviser pour mieux régner. Quoi de plus nécessaire et urgent, pour leur faire barrage, que de renouer le lien humain !
Un lien humain bien malmené Pendant des décennies, l’agro-industrie a coupé les éleveurs de porcs et de volailles du reste du monde en les confinant dans des bâtiments fermés, en déterminant pour eux tout ce qui concerne les animaux, de la naissance à l’abattage, ainsi que la commercialisation de leurs produits. Les éleveurs ont été conduits à un isolement social souvent délétère qui ne leur a pas permis de comprendre les changements à l’œuvre dans la société, au moins jusqu’à ce que le douloureux agri-bashing ne les frappe de plein fouet. Bourreaux ou victimes ? L’agro-industrie a tenté d’y faire barrage tout en abandonnant certains d’entre eux en rase campagne, comme les éleveurs de poules en batterie. Les seules formations auxquelles les éleveurs ont accès, sont bien souvent, réalisées par les agro-industriels eux-mêmes, minimisant les nouvelles attentes sociétales, vantant le business habituel, c’est-à-dire le productivisme débridé. Le système est intégré et puissant ; l’éleveur isolé, conditionné, en général endetté, s’y trouve coincé.
Pourtant les consommateurs ont de la sympathie pour les éleveurs Les consommateurs interrogés en 2022 dans l’enquête des étudiants SYSPEL de l’ENSAT éprouvent pourtant une grande sympathie, non seulement envers les animaux mais aussi envers les éleveurs. Ils considèrent en outre que pour faire évoluer la prise en compte du bien-être animal par les éleveurs, le meilleur moyen est le soutien des éleveurs et de leurs initiatives (41 %), avant même la réglementation (27 %), et l’éducation (22 %).
Ces bonnes dispositions ne doivent pas rester seulement un baume au cœur réconfortant. Il faut s’en saisir pour aller au-devant des consommateurs et expliquer le métier d’éleveur à ceux, nombreux, qui le méconnaissent. En même temps, il faut engager un changement de système de production et le présenter à ses interlocuteurs. Parler au consommateur en face à face passe par une communication authentique et non par la tromperie ; être capable de l’écouter, de saisir ses attentes, et de lui dire où on en est dans le processus de changement vers le bien-être animal. Si on s’adresse à lui par des supports écrits ou numériques destinés à toucher un public large, il faut le respecter. Tout le contraire d’un support des chambres d’agriculture, illustré de façon humoristique, destiné à combattre dix idées reçues sur le bien-être animal, contre lequel s’insurge Delphine POTTIER qui le ressent comme méprisant et accusateur à l’égard du public. Évitons de dilapider par des maladresses le capital de sympathie des consommateurs.
Le changement prend du temps
Le changement de système de production ne peut être immédiat, évidemment, ni même rapide. La réflexion est indispensable pour mener à bien le projet, mais l’aspect psychologique est déterminant ; cha-cun chemine à son rythme dans les différentes phases de sa progression vers l’acceptation du change-ment et la mise en œuvre. Dans un groupe, les membres n’avancent pas à la même vitesse. Ce qui compte c’est d’être en mouvement, de ne pas rester campé sur ses positions mais à tout moment ouvert, sans jugement. La nouvelle marque *Transition *est une main tendue au producteur en chemin vers la transition bio, donc en bas de la courbe du changement, et qui veut se lancer.
Où que vous soyez dans la transition, nous dit Delphine POTTIER, du moment que vous êtes dans l’état d’esprit One Welfare, vous pourrez sortir de votre isolement en renouant des liens avec d’autres éleveurs, avec des voisins et avec les consommateurs. Et, bien sûr, la relation qui s’établit ainsi passe par des canaux de communication, principalement orale, mais aussi écrite et numérique.
Bien communiquer pour accompagner le changement La plateforme agrilearn.fr propose plusieurs cours en ligne et actions de formation, relatifs à la com-munication interpersonnelle et en groupe. Chacun peut s’y référer. La première qualité d’une communication saine est l’écoute, une écoute véritable, orientée vers la compréhension de l’autre, dans un esprit d’ouverture. Évitons la dissimulation, la passivité, la fuite, l’agressivité, la dévalorisation de soi et de l’autre, la manipulation… Le but n’est pas de l’emporter sur l’autre mais d’établir et entretenir une relation de confiance qui permettra à chacun de s’enrichir au contact de l’autre et de grandir. L’assertivité définit assez bien l’attitude positive qui favorise la communication interpersonnelle : s’affirmer dans l’écoute et le respect de l’autre, pour une relation apaisée, hors, bien sûr, de toute violence verbale et physique. La Communication Non Violente (CNV) en fournit de précieuses modalités d’application. Tout ce qui est réel et juste, émotion, pensée, demande, peut se dire, mais pas n’importe comment !
Bannissons les gestes menaçants, les insultes, les propos agressifs ou méprisants, les reproches, les comparaisons, les dévalorisations, les accusations, les provocations… qui peuvent être ressentis comme violents. Si une colère justifiée nous anime, mieux vaut la verbaliser (sans témoin) à l’interlocuteur que de la manifester par un comportement violent. Refusons les insultes qui nous seraient adressées mais ne nous laissons pas entraîner à y répondre par l’insulte.
Dans la société, la communication interpersonnelle, sociale, institutionnelle et politique est trop souvent bien éloignée de ce modèle vertueux ; c’est peu de le dire ! Par exemple, la plaquette des chambres d’agriculture tendant à démonter dix idées reçues sur le bien-être animal peut être ressentie comme accusatrice et agressive, comme les révélations choc de l’association L214. En matière de manipulation, le greenwashing est champion, comme celui de Coca-Cola et de bien d’autres. Refuser d’ouvrir son élevage par peur de remarques excessives est une fuite qui témoigne de la passivité face à une situation désagréable qu’on croit ne pas pouvoir changer. Dommage que l’éleveur angoissé se replie sur lui-même. Échange loyal et respectueux entre deux êtres humains, l’assertivité est la clé d’une communication saine et réussie avec le consommateur.
Oser l’assertivité L’assertivité ne va pas de soi, direz-vous, dans un monde où la communication est parasitée par des tentatives de manipulation et trop souvent empreinte de violence. Comment devenir assertif ? Delphine POTTIER rappelle deux mots clés : empathie et éthologie. Si vous laissez s’exprimer votre empathie naturelle et que vous vous formez à l’éthologie, vous deviendrez tout naturellement assertif. Les amé-liorations apportées à votre élevage, pour vous, vos animaux et la Terre, prendront tout leur sens et vous rendront fier. Ça vaut la peine d’essayer !
Le consommateur, en face de vous, peut se trouver dans des dispositions différentes ; selon sa position, vous n’aurez pas la même discussion mais votre empathie permettra à la relation de s’établir. Les con-sommateurs français, on le sait, placent beaucoup d’espoir dans leur agriculture pour leur avenir. Dans l’état d’esprit One Welfare, sans le savoir, ils attendent des éleveurs qu’ils produisent des aliments sûrs et de qualité et qu’ils respectent le bien-être animal tout en protégeant l’environnement pour lutter contre le réchauffement climatique. C’est ce qui ressort de l’eurobaromètre publié tous les deux ans par l’Union Européenne. Ne décevons pas ces attentes même si l’expérience montre que, majoritairement, ils achètent encore du prix. Et donc justement, il faut leur parler et leur prouver en actes que vous avez compris la nécessité du changement.
Si pour le consommateur seul le prix compte, Delphine POTTIER estime que c’est la société qui dys-fonctionne, pas le consommateur. Trouvez-vous normal, demande-t-elle, que d’un côté on vante le bio et que d’un autre côté on ne soutienne pas la filière bio ? Ce positionnement de l’État n’est pas logique et doit être revu. Alors quoi ! la pauvreté s’accroît, on le sait, à un rythme très inquiétant. En 2021, un Français sur cinq sautait certains repas pour des raisons financières. En 2022, les banques alimentaires ont constaté que le nombre de personnes accueillies a été multiplié par trois en dix ans . Notre agriculture agro-industrielle « performante » ne permet pas de nourrir tout le monde.
Consommation de viande, quelles nouvelles attentes ? L’enquête Harris-Interactive de 2021 qui pose cette question, révèle ou confirme que les Français inter-rogés veulent des informations sur les alternatives à la consommation de viande, ils demandent de les encourager à consommer de la viande de meilleure qualité, de prévenir l’obésité, d’encourager la transi-tion vers une consommation plus durable, d’informer les Français sur l’impact écologique de la con-sommation de viande, de les encourager à consommer moins de viande, de servir une alimentation de qualité dans les cantines scolaires, d’informer les Français sur la valeur nutritionnelle des aliments qu’ils consomment. Bref, ils réclament une action plus volontariste de l’État.
Pourtant, seuls les nantis ont accès au meilleur en matière d’alimentation saine. Il y a de quoi s’insurger. Face aux lobbys de l’agro-industrie, dit Delphine POTTIER, il faudrait vraiment prôner le changement de mode de production alimentaire en prenant ouvertement l’agroécologie comme solution pour une agriculture durable et éthique. Au Salon de l’agriculture 2023, le ministre de l’Agriculture a annoncé que le gouvernement s’engageait à soutenir le bio. Des mesures concrètes ont été annoncées mais ce sont malheureusement surtout des mesures d’urgence. Les mesures structurelles pour le long terme ont bien peu d’ambition. On comprend que ce sera surtout aux collectivités locales, aux agriculteurs et aux consommateurs de se mobiliser pour accélérer le changement vers l’agroécologie. L’état semble visi-blement ne pas faire le poids face aux lobbys de l’agro-industrie.
Plus forts, ensemble C’est le titre d’un album pour enfants poignant, célébrant la bienveillance, l'acceptation d'autrui et l'importance de la solidarité. Quels sont les parents qui n’enseignent pas les valeurs d’entraide et de partage à leurs enfants ? Ils ont raison.
Mais alors, pourquoi ne pas incarner et défendre de telles valeurs à l’âge adulte ? Puisqu’on ne peut pas attendre du gouvernement qu’il agisse seul face aux lobbys agro-industriels, eh bien prenons les affaires en main, collectivement, en adoptant l’état d’esprit One Welfare : garantir le bien-être humain, le bien-être animal et le respect de l’environnement, en toute bienveillance.
Ridicule ! Utopique ! Voyons donc, on ne vit pas dans un mode de bisounours ! C’est ce qu’on rétorque dans l’agro-industrie qui a bâti un monde cruel et sans pitié où règne la loi du plus fort, la seule qui permettrait de survivre, comme c’est le cas, d’ailleurs, dans la nature. Une loi naturelle, donc. Surprenant argument après des millénaires de civilisation et de culture censées instaurer une société bien plus évoluée que celle des animaux dans la nature, puisqu’elle a inventé la science, l’art, la morale et plein de choses sophistiquées qui font de nous des êtres supérieurs.
Des éthologues et la loi de la jungle À ce propos, des éthologues qui ont étudié comment survivent les espèces conviennent à présent qu’il faut se débarrasser de l’idée reçue selon laquelle la loi du plus fort régirait la nature. Étonnant, non ? Détonnant, même ! Un livre de Pablo SERVIGNE et Gauthier CHAPELLE vulgarise certaines de leurs découvertes : « L’entraide, l’autre loi de la jungle » . Il est salué par Matthieu RICARD :
« *Il ne fait aucun doute que l’entraide est omniprésente dans la nature. Chez les humains, elle est l’une des manifestations les plus directes de l’altruisme. Elle mène au double accomplissement du bien d’autrui et du sien propre. L’étude pénétrante de Pablo SERVIGNE et Gauthier CHAPELLE qui dresse le portrait de cette autre « loi de la jungle » est donc plus que bienvenue à une époque où nous avons tant besoin de favoriser la coopération, la solidarité et la bienveillance, pour construire ensemble un monde meilleur » *
Vers une société de l’entraide
Ne pensez-vous pas, interroge Delphine POTTIER, qu’il est temps de tourner la page d’une société de consommation auto centrée pour ouvrir une nouvelle page, celle d’une société de l’entraide ? L’économiste Éloi LAURENT le confirme :
« *Si l’on veut aller vers des sociétés de bien-être, c’est-à-dire à la fois de santé et de bonheur, la coopération est la clé. Une très belle étude conduite à Harvard montre que la qualité des relations sociales constitue le facteur essentiel à la fois pour l’espérance de vie et le bonheur.» *
Déjà en 2013, « Donnant, donnant », le livre de Adam GRANT avait pris le contrepied d’une vision quasi belliqueuse de la vie en entreprise, prônant au contraire la générosité. On peut réussir en étant un donneur plutôt qu’un preneur. Pour se protéger des preneurs mieux vaut les ignorer que les combattre. De la même façon, il vaut mieux chercher ensemble des solutions pour progresser dans la transition agroécologique. Inutile de lutter contre l’agro-industrie, vous risquez d’y perdre des plumes, prévient Delphine POTTIER qui connaît bien ce monde. Organisons plutôt la lutte POUR l’agroécologie, un pilier du One Welfare.
Une initiative : l’accueil social à la ferme (Re)générer des solidarités, des services rendus, c’est ce que propose l’Accueil social à la ferme et en milieu rural, organisé en France par Accueil Paysan et le réseau des CIVAM . Des initiatives comparables existent dans d’autres pays. Ainsi, des agriculteurs et autres acteurs ruraux accueillent des personnes qui éprouvent la nécessité d’une rupture momentanée avec leur quotidien. Le mouvement s’attache à concilier des valeurs sociales et solidaires avec la valorisation des territoires agricoles et ruraux, et la défense de l’environnement. Ils façonnent une manière de vivre ensemble plus proche les uns des autres. L’élevage y a toute sa place, qui ouvre ses portes et contribue au réconfort des personnes accueillies.
Nous sommes, répétons-le, à la croisée des chemins. Nous pouvons décider de continuer à vivre dans une société où la compétition et la lutte individualiste pour l’accès à toujours plus de richesses et de pouvoir est la clé, ou bien nous pouvons reformater collectivement nos disques durs et passer à une nouvelle ère où l’empathie et la coopération seraient les nouvelles règles à suivre. On ne saurait trop recommander le magnifique livre de Frans DE WAAL, « *l’Âge de l’empathie *» . Dans cet ouvrage plein de vie et d’humour, cet ethnologue réputé démontre que l’instinct de compassion n’est pas l’apanage exclusif de l’homme. Il révèle également que l’empathie et la coopération représentent des avantages sélectifs décisifs pour la perpétuation des espèces. Un livre de nature et de science à l’évidente portée politique.
Nous avons le pouvoir de décider Regardons comment les animaux ont évolué et prenons exemple sur eux pour nous reconnecter à eux et à la planète. Nous avons le pouvoir de choisir le mode de société que nous voulons pour nos enfants, à condition de nous engager dans la courbe du changement, maintenant.
Nous avons autant besoin des animaux qu’ils ont besoin de nous. Si on laisse l’agro-industrie ou les GAFAM prendre la main, alerte Delphine POTTIER, nous risquons de perdre définitivement le lien millénaire qui nous unit aux animaux, mais aussi le lien qui nous relie aux autres humains. De l’avenir de l’élevage dépend aussi l’avenir de notre humanité. Voulons-nous perdre définitivement notre empathie pour les animaux et pour les hommes ; c’est là le véritable enjeu de la lutte pour l’agroécologie car seul l’élevage agroécologique peut s’inscrire dans une société respectueuse de tous les êtres vivants et à la Terre.
Renouer le lien à la Terre L’inéluctable réchauffement climatique est anxiogène ; chaque épisode de canicule, chaque feu de forêt, chaque période de sécheresse ou d’inondations dévastatrices ravivent notre anxiété. On peut couper le flux des informations ; inversement, on peut décider d’agir. L’action est un bon remède à l’angoisse. Faute d’empêcher le dérèglement climatique, il existe des solutions simples pour réussir ensemble à en limiter l’impact sur nos vies et celles de nos enfants. Les bonnes pratiques d’élevage en font partie.
Le rapport de synthèse du GIEC, publié le 20/03/2023 sonne à nouveau l’alerte et donne des préconisa-tions pour limiter la hausse des températures en dessous de 2o C d’ici la fin du siècle :
Ne plus ouvrir aucun gisement de pétrole ni gaz, sortir du charbon, prendre moins l’avion, arrêter la déforestation, manger moins de viande, développer les énergies renouvelables, les transports en com-mun, voitures électriques, vélo, la rénovation énergétique et l’agroécologie. Mises en œuvre à grande échelle, ces dispositions pourraient faire baisser nos émissions de gaz à effet de serre de 40 à 70 % d’ici 2050.
Et le représentant du GIEC d’ajouter :
La période est cruciale, on le sait. Les choix d’aujourd’hui conditionnent le climat de demain, pas celui de 2100 mais déjà celui de 2040-50. Pourtant la majorité des investissements publics et privés reste di-rigée vers les énergies fossiles au lieu de financer des solutions plus favorables au climat.
L’élevage peut y contribuer Dans le milieu de l’élevage, deux propositions retiennent particulièrement l’attention : réduire notre consommation de viande, développer l’agroécologie. Une courte vidéo réalisée par Ipes-food enfonce le clou :
*La révolution verte a produit l’augmentation des rendements mais au prix de la pollution des sols et des eaux, de l’uniformisation des paysages, de la disparition des petits agriculteurs, de l’effondrement de la diversité biologique et alimentaire, de la perte des habitats naturels, créant les conditions parfaites pour que des maladies dangereuses se propagent aux populations humaines. Que faire maintenant ? Continuer l’agriculture intensive, des réglages techniques pour combattre les ravageurs et contrôler notre environnement ?
L’avenir de l’agriculture pourrait toutefois être très différent. Partout dans le monde des communautés convergent vers un concept simple mais puissant, l’agroécologie. Elle mise sur la diversité dans les champs et dans l’alimentation des communautés, sur la coopération, les solidarités, les circuits courts. C’est une façon d’organiser différemment nos systèmes alimentaires. Allons-nous rester piégés dans le 20è siècle, ou allons-nous adopter l’agroécologie comme prochaine évolution des systèmes alimentaires ?*
Manger moins de viande En France, entre 1800 et 2000, nous avons quasiment multiplié par cinq notre consommation de viande C’était considéré, il faut le dire, comme une conquête sociale. À présent, nous en connaissons les impacts négatifs sur la santé et l’environnement. Prise de conscience d’une population toujours plus sédentaire et accroissement de la pauvreté, chez les adultes la consommation moyenne hors volaille (pourquoi est-elle exclue ?) diminue depuis 2010. Le site d’INTERBEV a d’ailleurs opté pour un slo-gan mieux adapté aux changements à l’œuvre dans l’opinion publique : « Aimez la viande, mangez-en mieux ».
Carbone4 a réalisé en 2021 un graphique donnant l’empreinte carbone moyenne en France en kg d’équivalent CO2 par personne. Par ordre décroissant, on trouve d’abord les déplacements (notamment la voiture), puis l’alimentation, le logement, les achats, enfin notre part dans les dépenses publiques. L’empreinte carbone de la consommation de viande est importante (autant que gaz et fioul cumulés ou que les achats de la maison + loisirs). De 2019 à 2050, il faudrait passer d’un total de onze tonnes équi-valent CO2 à deux tonnes. L’effort, considérable, doit être collectif : les individus, les entreprises et les pouvoirs publics. L’agriculture n’est pas en reste.
Aller vers l’agroécologie Passer du système agro-industriel à l’agroécologie, répétons-le, exige une véritable refonte des valeurs. Il ne s’agit pas de verdir son élevage mais de changer vraiment de système de pensée et d’élevage. Un mode de vie plus conscient, plus ouvert sur les autres, plus solidaire, plus tolérant. Adopter l’état d’esprit One Welfare pour ne laisser ni l’homme, ni l’animal, ni la Terre de côté. Penser global, agir lo-cal.
Tout ça est bel est bon dans le discours, même s’il est loin d’être partagé, mais concrètement, qu’en est-il ?
La plateforme agrilearn.fr propose plusieurs documentaires sur des fermes engagées dans la démarche. Le module 4 du cours en ligne d’Alain PEETERS « Réussir sa transition vers l’agroécologie » montre une douzaine de témoignages très convaincants. Dont une jolie citation pour donner envie de les écouter toutes et de faire connaissance avec ces paysans épanouis :
Partager notre métier et apprendre (aux autres) les beautés de ce métier... Il nous permet de nous dépasser et de viser toujours plus haut à chaque nouveau défi rencontré. L'environnement est au centre de nos préoccupations. En plus d'être bio, nous sommes également en agriculture de conservation des sols. Il ne faut pas être fou pour travailler ici mais ça aide... ! Florian Henneuse Éline Dufossez Maraîchers & éleveurs ovins
Sur le Web, on peut trouver de nombreux témoignages d’éleveurs. Pour en apprécier la valeur, une boussole, One Welfare : les humains, les animaux et l’environnement sont-ils pris en compte ? N’hésitez pas à les contacter pour constituer votre réseau.
Pas de modèle, mais un exemple Parmi ces témoins, le réseau CIVAM présente Jérôme AUDURIER à Saint-Varent (Deux-Sèvres). Avec ses trois associés de l’EARL Les Versaines et un apprenti, il cultive 190 ha, élève 110 vaches laitières et 180 brebis. Installé seul en 1994, il a commencé en conventionnel comme son père avant lui. Au début des années 2000, s’interrogeant sur son recours massif aux produits phytosanitaires, il a visité une exploitation qui a fait le choix d’un système herbager. Il s’est informé, a rejoint le CIVAM, s’est formé pour mieux comprendre la plante et le sol et s’est lancé dans le changement progressif de son système. Son but : produire de façon économe, pour une agriculture durable qui impacte le moins pos-sible l’environnement, en créant de l’emploi et en s’épanouissant dans le travail.
En 1994, l’IFT (Indicateur de Fréquence de traitements Phytosanitaires) était de 2,64 ; il est descendu progressivement à 1,25, puis 1,18 puis 0,63 pour arriver à zéro. Oui, c’est possible de se passer des pesticides tout en assurant des rendements et un revenu satisfaisants. Ce n’est pas un retour en arrière vers une agriculture fragile et misérabiliste comme ses dé-tracteurs veulent le faire croire, mais au contraire un grand progrès. Comment ? En introduisant des prairies temporaires de graminées + légumineuses dans la rotation des cultures, puis des mélanges céréaliers, il a réduit pas à pas les fertilisations azotées, puis les insecticides, les fongicides, puis les herbicides, puis finalement les cultures de vente. On aurait mille questions à lui poser sur ses pratiques culturales, les choix variétaux, la fertilisation, l’alimentation de ses animaux, etc. Il reconnaît qu’il a encore plein de choses à améliorer : la technique de pâturage, l’aspect sanitaire du troupeau, la génétique vers un troupeau plus rustique, peut-être la vente directe en créant de l’emploi… C’est ça qui rend le métier passionnant. On s’éclate, dit-il en conclusion. Bravo !
Résilience alimentaire Faute de pouvoir arrêter le dérèglement climatique, en particulier son réchauffement inéluctable, il faut tout mettre en œuvre pour d’une part le limiter, et pour d’autre part en atténuer les effets. En remplaçant notre système alimentaire actuel, délétère pour la planète, par un système plus durable, l’agroécologie, on pourra absorber en partie les chocs du dérèglement climatique ; c’est ce qu’on appelle la résilience. Chacun peut apporter sa pierre à l’édifice, rappelle Delphine POTTIER, en adoptant l’état d’esprit One Welfare appliqué dans l’agroécologie qui intégre le respect des êtres humains, des animaux et de la Terre. Chacun peut s’impliquer dans son développement, ne serait-ce que par des actes d’achat réfléchis et militants.
Elle adjure l’État de soutenir l’agroécologie, de montrer qu’il n’est pas seulement la proie consentante des lobbys agro-industriels, qu’il se soucie de préserver notre avenir et celui des générations futures, qu’il n’est pas sourd à l’appel de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) à choisir One Wel-fare pour parvenir aux objectifs de développement durable.
Pour une insurrection des consciences Il est temps que les consciences s’éveillent, comme s’employait à le dire Pierre RABHI auteur notamment de L’agroécologie, une éthique de vie :
« Il nous faudra répondre à notre véritable vocation qui n’est pas de produire et de consommer, mais d’aimer, d’admirer et de prendre soin de la vie ».
Si nous voulons que nos enfants grandissent dans un monde simplement vivable, rappelons-nous que produire toujours plus d’animaux selon le modèle agro-industriel peut engendrer comme lourdes conséquences animales, humaines et environnementales. Rappelons-nous que laisser l’intelligence artificielle s’occuper de nos enfants, de nos animaux et de nos aînés à notre place pourrait avoir des conséquences désastreuses pour notre propre bien-être humain. Privés d’animaux, nous ne pourrions plus développer notre empathie ni recevoir les soins muets et réconfortants que nous produisent spontanément les animaux en état de bien-être. Si on nous privait d’animaux domestiques élevés dans le respect de leur bien-être, notre humanité serait gravement altérée. Pour conclure, écoutons le directeur de la FAO de 2012 à 2019, José Graziano da Silva, agronome et écrivain :
Nous devons encourager un changement en profondeur de la manière dont nous produisons et consommons les aliments. Nous devons promouvoir le système alimentaire durable qui offre une alimentation équilibrée et nutritive, les services éco systémiques et une meilleure ré-silience face au climat. L’agroécologie peut contribuer au processus de transformation de nos systèmes alimentaires.
Avec l’agroécologie comme objectif et One Welfare comme boussole, avançons ensemble vers un monde meilleur. Merci à Delphine POTTIER d’en ouvrir la porte.