Comment améliorer à la fois le bien-être des animaux, celui des éleveurs et la relation entre l’éleveur et son troupeau ? Eh bien en intégrant les principes de l’éthologie. Nous en avons déjà parlé en élevage porcin ; bientôt, il s’agira des chevaux ; nous abordons aujourd’hui l’éthologie à propos des bovins, grâce à la parfaite maîtrise de Pauline GARCIA.
Éleveuse de bovins allaitants, en GAEC depuis 2015, Pauline GARCIA est comportementaliste animalière pour les bovins, vulgarisatrice et formatrice, autrice de deux ouvrages , spécialisée dans la diffusion des connaissances relatives à l’éthologie des bovins. De quoi s’agit-il ? Elle nous l’explique dans un cours en ligne sur la plateforme www.agrilearn.fr et ne se contente pas de l’expliquer ; elle le montre sur ses vaches et son taureau. La totalité du tournage vidéo a lieu en prairie.
Travailler la relation avec l’animal
On voit Pauline GARCIA donner des soins non douloureux à des vaches, en liberté, au pré. Elle leur parle, les gratte, parfois avec les ongles ou des gants mais plus souvent avec une brosse, avant et après le soin. Les animaux la connaissent et ne sont nullement apeurés. Aucun ne fuit. On sent bien qu’ils apprécient d’être approchés et grattés ; le bovin est un animal placide, souvent affectueux, même si chacun a son caractère propre et que le troupeau est régi par une hiérarchie stricte. Mais il faut peu de choses pour qu’il soit stressé. Pas de mièvrerie ni de domination paternaliste dans le comportement de l’éleveuse ; du respect mutuel ; les animaux sont ses collègues et elle est leur manager qui ne perd pas de vue toutefois la finalité économique de l’élevage.
Pour que les animaux se montrent coopératifs, aucune magie ; l’éleveuse travaille avec eux dès le jeune âge. Le sevrage est un moment clé. Pourquoi coopératifs ? Parce que, tous les éleveurs le savent, ils ont beaucoup de choses à faire avec eux : les nourrir, les déplacer, les trier, les boucler, les tatouer, les soigner, les peser, leur parer les sabots, les sevrer, les faire monter dans la bétaillère, éventuellement les inséminer, les aider à la mise-bas, les traire, les écorner, les castrer, les toiletter et les mener au concours… et en priorité, les observer. Un contact quotidien, exigeant mais O combien gratifiant pour l’éleveur aimant son métier et ses animaux qui sont pour lui autre chose que des supports de marge.
Pauline GARCIA travaille et invite les éleveurs à travailler sur trois axes : • l’animal : comprendre son comportement et respecter ses besoins, • l’humain, notamment son comportement à lui aussi, en interaction avec l’animal, • la relation du binôme humain-animal : deux êtres qui interagissent avec, chacun, ses émotions, sa mémoire, ses apprentissages.
Étudier le comportement animal
L'éthologie est l'étude scientifique du comportement - on pourrait dire des mœurs - des espèces animales, y compris l'humain, dans leur milieu naturel ou dans un environnement expérimental. Le concept n’est pas neuf ; il a été défini en 1854 mais bien plus tôt, dans l’Antiquité, Aristote rendait compte déjà du comportement animal, suivi par bien d’autres éminents observateurs de ce sujet passionnant qui nous renvoie en miroir notre propre image. Si les études scientifiques intéressent Pauline GARCIA, ce qu’elle cherche à nous transmettre, c’est l’éthologie appliquée, celle qui est directement utile aux éleveurs. Très utile, même, comme le démontrent les trois études que présente notre éleveuse.
Selon les lieux, des comportements différents
Les bovins mangent, se reposent, souvent en ruminant, interagissent entre eux. À chaque phase un comportement particulier, et celui-ci est différent en extérieur et en bâtiment. Plus l’espace est restreint, plus on observe d’interactions, avec des contacts, et plus elles sont négatives : conflits, évitements, fuite ; c’est l’effet confinement qui maintient le bovin en alerte sur ce que font les autres, donc plus stressé. Ainsi, comme pour les humains, l’environnement peut être plus ou moins favorable au bien-être. Rien d’étonnant à cela.
Comment diminuer le stress des bovins en bâtiment ? La radio (musique et voix humaine) a des effets positifs, la géobiologie est parfois bien utile, et puis des accessoires. Pauline GARCIA recommande les brosses pour que les animaux viennent s’y frotter ; c’est mieux pour eux que les murs et les piliers. Mais il faut en installer suffisamment pour éviter la compétition ; si possible, une brosse pour cinq à dix vaches. Pas forcément des brosses rotatives, efficaces mais trop coûteuses pour être en nombre ; non, simplement des brosses ordinaires, pas chères.
La nouveauté attire les bovins
Les bovins sont curieux. Comme ils voient mal de loin, ils s’approchent de ce qui est nouveau dans leur environnement, mais prudemment et selon un rituel hiérarchique. Les meneuses sont en tête puis les autres par vagues : les dominantes et, en troisième ligne, les soumises. La meneuse, nous dit Pauline GARCIA, est une grosse curieuse, dotée d’un fort tempérament, très stimulée et attirée par la nouveauté ; elle apprécie les concours mais n’en a pas toujours le gabarit, dommage pour elle !
Les dominantes qui suivent la ou les meneuses sont partagées entre leur envie de découvrir et leurs besoins de protection et survie. Elles observent le comportement des meneuses tout en ruminant, c’est le cas de le dire, leur frustration. Derrière, mais attirées aussi, viennent les soumises qui ont du mal à s’avancer parce qu’elles ont peur des autres et redoutent les conflits où elles n’ont ni la force ni le gabarit pour s’imposer. En retrait, sans prendre d’initiatives, elles apprennent par observation des autres.
Johnny allume le feu
Si vous pensez qu’on s’en fiche un peu de ces petites affaires de troupeau, eh bien vous avez tort ! Pauline GARCIA nous invite à regarder Johnny, un éleveur qui ne s’en laisse pas conter et s’apprête à charger des bovins en bétaillère ; c’est une nouveauté pour les animaux. Il faut dire que ce garçon ignore tout de l’éthologie, une affaire de femmes sans doute, il manifeste peu de patience et s’emporte facilement ; pas de temps à perdre ! Il est derrière les bêtes avec son chien qui aboie. Il crie sur le chien pour le faire taire. Zabor redouble d’aboiements en s’écartant pour ne pas prendre un coup de pied du maître. Ainsi, à l’arrière des animaux se crée une zone d’énergie négative qui influe sur les bovins. La soumise, à l’arrière du groupe, apeurée, passe devant en se faisant bousculer et se retrouve devant la rampe, terrorisée, avec des bruits et des odeurs inhabituelles, incapable, évidemment, d’aller explorer ce trou sombre et étroit du camion. En proie à un stress terrible, elle éclabousse tout de sa bouse liquide et acide. La montée des animaux va prendre un temps fou à grands coups de bâton, de cris, de bouse et d’énervement dont bêtes et gens se souviendront. Les bovins ont de la mémoire et associeront dorénavant véhicule et stress. Chaque embarquement sera plus difficile que le précédent. Pauvre Johnny !
Inutile de dire que l’éleveuse Pauline GARCIA s’y prend autrement, non pas derrière, dans l’angle mort des bovins, mais devant pour les attirer, car depuis le sevrage, elle les a habitués à la suivre comme guide du troupeau, avec de l’aliment dans la main, objet de convoitise. Pas de stress, elle leur parle d’une voix apaisante et les appelle. Elle monte donc la première, suivie par les meneuses, puis par les dominantes. Les soumises, rassurées, monteront aussi. Entretemps, l’éleveuse s’est éclipsée par la trappe latérale et a rejoint son associé qui s’est placé derrière pour tenir le troupeau serré, tandis que le chien a été mis à l’écart. L’opération s’est déroulée rapidement, sans stress. Les bovins s’en souviendront.
Apaiser les veaux par l’enrichissement
Les bovins cherchent fréquemment à s’apaiser. Pour cela, ils se lèchent beaucoup entre eux, en particulier la mère sur son veau qui, lui, a un fort besoin de succion. À l’extérieur, le veau, entre les tétées et les périodes de repos, s’occupe tout le temps à explorer et machouiller. À l’intérieur, au moment délicat du sevrage, il s’ennuie et nourrit de l’anxiété. Les veaux laitiers, écartés de leur mère très tôt et mis en niche, s’ennuient et cherchent à sucer et mastiquer. Pour occuper les veaux en apaisant leur besoin de succion, Pauline GARCIA recommande d’enrichir leur environnement d’objets insolites. Enrichir, nous dit-elle, c’est répondre à des besoins fondamentaux par des brosses pour le grattage, des objets à mâcher et d’autres à bousculer, des sons... Cela permet de limiter les succions entre veaux et les apaiser. Plus ils sont acteurs dans une découverte, plus ils apprennent ; ce sera vrai aussi dans la découverte des aliments : des goûts nouveaux pour les préparer aux transitions alimentaires.
Les veaux sont curieux et intrépides ; j’ai vu tout un lot de veaux sevrés enfilé à la queue leu-leu dans un boyau souterrain étroit et sombre, un cul de sac où ils ne pouvaient pas se retourner. On avait négligé d’en barrer l’entrée, sachant qu’une vache ne pouvait pas s’y aventurer. On a eu toutes les peines du monde à faire reculer les veaux, des heures d’effort, de ramping entre leurs pattes et de patience en évitant de les stresser davantage.
On peut suspendre un objet dans la case d’un veau, par exemple une pyramide en matériau souple mais très solide parce que les veaux vont beaucoup solliciter l’objet. Pauline GARCIA suggère des brosses robustes achetées dans le commerce ou détournées : elle montre une brosse de balayeuse dont elle a retiré les tiges métalliques ; elle suggère aussi des tapis à picots en caoutchouc qui ont un effet massant. Dans la période qui suit le sevrage, notre éleveuse fourmille d’idées pour occuper les veaux, y compris par sa présence fréquente, les habituer à la nouveauté des formes, des couleurs, des bruits, des goûts, tout un apprentissage pour qu’ils aient moins peur à l’avenir et perdent le réflexe ou plutôt le besoin de succion. Car les animaux ont des besoins fondamentaux qu’il est essentiel de connaître et de nourrir, faute de quoi ils développeront de l’anxiété, de l’agitation, du stress, un mal-être, d’où une moindre production et moins de satisfaction pour l’éleveur.
Six besoins fondamentaux du bovin
Souvenons-nous des cinq libertés du bien-être animal énoncées en 1965 par l’éminent biologiste irlandais Francis BRAMBELL :
*Absence de faim, soif et malnutrition, *Absence d’inconfort (abris appropriés), *Absence de blessures, maladies et douleurs, *Absence de peur et d’anxiété, *Absence d’entraves aux comportements normaux de l’espèce.
Notons l’usage du mot liberté : pas de bien-être sans liberté ! Dans le même esprit, l’éthologie énonce comme suit les six besoins fondamentaux du bovin.
1-Vivre en groupe: l’espèce bovine est grégaire, régie par des codes sociaux. Les animaux vivent en troupeau où ils s’envoient en permanence des signaux, notamment par des postures (alors que l’humain est plutôt sensible aux messages verbaux). Le troupeau est une école de vie pour le jeune bovin qui apprend les comportements naturels de l’espèce transmis par les adultes. C’est ainsi qu’il pourra s’intégrer correctement dans le troupeau. Soyons attentifs aux signaux de bien-être, bonne santé, alerte, stress… et évitons au maximum d’isoler un bovin.
2- Manger à sa convenance. À l’herbe, le bovin passe un tiers du temps à manger ; il trie, choisit les végétaux qui lui conviennent, sans guère de compétition sur la nourriture, moins encore en estive qu’en pâture. En revanche, plus l’espace est restreint, plus grande est la compétition alimentaire entre bovins qui sont attentifs à ce que font les autres et sont incités à manger plus vite.
3 - S’hydrater dans de bonnes conditions. Le troupeau est synchronisé : quand l’un va boire, le troupeau, en général, suit, d’où une compétition autour du point d’eau. Si l’eau manque, les plus faibles ne s’hydratent pas suffisamment. Le bovin apprécie une eau claire et pure, sans mauvaise odeur qu’il boit par grosses goulées. Attention donc aux abreuvoirs à trop faible débit : le bovin se fatigue et abandonne avant d’avoir suffisamment bu.
4 – Se toiletter, se gratter. Déféquer, uriner, mais aussi se gratter, se toiletter, seul ou avec des congénères… Ces comportements de grattage se manifestent par léchage mutuel ou sur des supports naturels comme les arbres et les rochers, et sur des supports artificiels comme les brosses, les tubes et les piliers. Faute d’un grattage au moins une fois par jour, le bovin est en manque car le grattage fait partie de l’apaisement nécessaire à l’animal qui peut manifester alors quelque agressivité.
5 – S’abriter du soleil et des intempéries(pluie, neige, vent…). Quand le soleil darde ses rayons sur le pré surchauffé, le bovin choisit de se mettre à l’ombre mais parfois préfère rester au soleil. Il ne craint guère la pluie, ni le froid, jusqu’à -5° voire moins, mais redoute le vent pluvieux et le vent glacial. Des arbres, des haies, un abri sont indispensables. La végétation arbustive offre en outre des niches écologiques à la biodiversité et un enrichissement sensoriel pour le veau, remède au stress.
6 – Circuler dans des zones sécurisées. À l’extérieur, les bovins passent et repassent aux mêmes endroits en y tassant le sol, créant ainsi des pistes de circulation où ils sentent leurs pattes en sécurité. Nous apprendrons plus loin qu’ils ne voient pas directement où ils posent les pattes. Dans les bâtiments, les bovins circulent beaucoup car ils ont besoin de bouger. Ce qu’ils craignent le plus, c’est un sol glissant où ils peuvent tomber, voire s’écarteler. Dans ce cas, ils limitent leurs déplacements avec pour conséquence le manque d’usure des sabots et un mauvais entretien du système circulatoire. Autant dire que le maintien à l’attache de longs mois à la même place n’est pas bon pour les vaches.
Pauline GARCIA nous décrit ensuite comment le bovin voit et entend, comment, à travers ses cinq sens, il ressent le monde qui l’entoure.
Une vision extra large
Les yeux situés sur le côté de la tête lui procurent un champ visuel large, une vision binoculaire de face, plus réduite toutefois que la nôtre, mais complétée par une vision monoculaire de chaque côté. Il voit large avec toutefois un angle mort sur la ligne du dos et au bassin. Bien sûr, quand il tourne la tête, son angle mort tourne aussi. Le bovin ne voit pas en bas, là où il pose ses postérieurs et ses antérieurs. C’est ce qui explique son allure plutôt lente.
Le bovin voit en couleurs avec des contrastes amplifiés par rapport aux nôtres. Les couleurs claires ressortent donc beaucoup, comme les reflets (métal, flaques d’eau…). Quand il passe de l’ombre à la lumière, il est ébloui ; il lui faut un temps d’adaptation pendant lequel on va éviter de le stresser. Heureusement pour un animal brouteur et trieur, son acuité visuelle est bonne de près, jusqu’à quelques mètres, mais au-delà, il voit flou. Donc quand vous arrivez au pré, il distingue une silhouette mais ne vous reconnaît pas sauf, bien sûr, si vous approchez en chantonnant ou en parlant.
Comme au cinéma
La vision du bovin est saccadée, à la manière des premiers films ; autant dire qu’il est mal à l’aise avec les mouvements rapides. Il entend le train plutôt qu’il ne le voit distinctement passer. Déplacez-vous donc lentement à raison d’un pas maximum par seconde, comme en apesanteur, avec des gestes lents. Pire, le stress l’aveugle ou presque en vision binoculaire de face, le rendant d’autant plus dangereux. L'énophtalmie désigne l'enfoncement du globe oculaire dans la cavité orbitaire. L’animal va avoir tendance à se retourner pour échapper à cette vision, en vain. Quand il charge, il ne voit pas dans quoi il fonce. Il entend les cris qui le stressent encore plus, provoquant chez lui comme un état second.
Dans un élevage qui ne vous connaît pas habillez-vous en sombre, mat, sans contrastes de couleurs ni brillance. La casaque de vêlage, claire, brillante et bruissante, met le bovin en alerte ; il se méfie et a tendance à fuir, sauf si vous avez pris la précaution de l’habituer dès le sevrage, comme le pratique Pauline GARCIA.
L’œil et la bulle L’œil mi-clos, les cils baissés, le bovin est détendu. S’il montre la sclère (le blanc) de l’œil en l’ouvrant grand, c’est signe de stress. Soyons-y attentifs.
Le bovin est stressé justement quand, en l’approchant, on pénètre dans sa bulle de sécurité. Cet espace qui entoure l’animal, propre à chacun, varie selon l’âge, le sexe, l’état de gestation et la présence du veau, les expériences de vie avec l’éleveur, les conditions climatiques (vent, orage, neige). Pour l’évaluer, Pauline GARCIA nous le montre en s’approchant lentement de la vache jusqu’à ce qu’elle fuie : 2m50, 2m, zéro, cela dépend de chacune. Pour atteindre zéro bulle, c’est-à-dire une totale facilité d’approche, l’éleveuse travaille la proximité avec détermination depuis le plus jeune âge et l’entretient.
Ouïe fine et pavillons agiles
Ayons l’oreille à l’œil, si on peut dire. Le bovin dispose d’un pavillon de l’oreille très mobile qu’il bouge en permanence pour chasser les mouches, mais le réflexe de Pryer lui fait orienter son pavillon vers toute nouvelle source de bruit. Si on se trouve dans son angle mort visuel et qu’il tourne le pavillon vers l’arrière, c’est qu’il a perçu notre présence. Le rassurer de la voix.
Le bovin est très sensible aux sons aigus comme certains bruits métalliques, crissements de freins, jets d’air, qui le font sursauter, donner un coup de tête ou de pied. Il entend des sons jusqu’à 37000 Hz alors que l’humain n’entend que jusqu’à 18000 Hz. Mieux vaut l’aborder avec une voix posée, plutôt dans le grave car les sons aigus le mettent en alerte provoquant la fuite ou l’agression. En bâtiment, la radio diffusée aux moments de repos enrichit les registres auditifs des bovins qui gagnent ainsi en confiance. Pour les préparer aux concours, Pauline GARCIA conseille de leur diffuser des playlists d’ambiance de concours dont ils deviendront familiers.
Les oreilles renseignent aussi l’éleveur sur l’état du bovin. Le tonus musculaire des pavillons indique une bonne santé. En revanche, en cas de fièvre, de maladie, de grand stress ou d’isolement social, les oreilles ont tendance à tomber, signe de malaise.
Il est tactile, le bovin
Les bovins, nous le savons, se lèchent eux-mêmes et mutuellement. Le toucher est très important entre eux et il l’est aussi entre l’humain et le bovin. Le toucher crée du lien et entretient les affinités. Pauline GACIA approche toujours ses animaux munie d’accessoires de grattage : une brosse longue qui prolonge le bras et permet une première approche sans entrer dans la bulle du bovin, d’autant plus facilement que celui-ci est habitué au bruit et à la sensation tactile des brosses installées dans les bâtiments et les parcs. Elle a aussi dans sa trousse une brosse à picots, comme celle avec laquelle on peigne le crin des chevaux, et puis des gants lisses et à picots qui facilitent le grattage et ont l’avantage de masquer les mains moites qui signaleraient du stress. Elle entraîne les animaux à se laisser toucher sur tout le corps , pour qu’au moment du soin, ils ne soient ni fuyants ni rebelles. Mais les zones que le bovin préfère se laisser gratter, toujours franchement, de bas en haut, sont le garrot et la base de la queue. Ce sont des points d’apaisement très puissants où le toucher lui fait un bien fou. La mamelle l’est aussi, comme la tête. Il faut apprendre aux bovins à se laisser gratter la tête ; ils y sont spontanément réticents mais avec l’habitude, ils viennent d’eux-mêmes la présenter.
Pauline GARCIA distingue trois catégories de sensibilité tactile :
• La sensibilité au toucher, qui est la plus forte, on s’en doute, aux endroits du corps où la peau est la plus fine, le poil moins épais. • La sensibilité à la douleur : évitons à l’animal d’associer dans sa mémoire douleur et humain ; préservons la confiance qu’il place en nous. Les actes douloureux comme l’ébourgeonnage des veaux, l’écornage, la castration doivent se faire sous sédatifs (endormissement) pour favoriser la respiration et la récupération et éviter les associations négatives. • La sensibilité thermique : le bovin est sensible aux écarts de température. Son confort se situe entre -5° et +15-20°. En dehors de cette zone, le bovin doit s’adapter et donc fournir de l’énergie qui n’est plus disponible pour la production.
Quant à l’odorat et au goût des bovins, ils sont beaucoup plus développés que ceux des humains.
Un formidable odorat
Si l’humain se sert largement de sa main pour explorer les objets et l’environnement, le bovin flaire avec son mufle. Les vaches font très bien la différence entre les odeurs agréables (celles des concentrés par exemple) et désagréables. Elles reconnaissent à l’odeur leurs congénères, car chacun a la sienne propre, sa carte olfactive, mais aussi les humains. Le bovin est capable de mémoriser les odeurs de 50 à 60 congénères dans le troupeau. Si ce dernier est plus nombreux, se créent des sous-troupeaux qui se mélangent peu. Il y a plus d’affinités au sein de petits groupes
Capable donc de différencier beaucoup d’odeurs, le bovin est dit macrosmatique. Il possède dans la cavité orale l’organe de Jacobson qui lui permet de détecter beaucoup de signaux olfactifs. Le bovin, comme d’autres animaux, le porc par exemple, manifeste le réflexe de flehmen qui lui fait retrousser la lèvre supérieure, allonger le cou et le mufle. Ce réflexe caractéristique dégage l’accès des phéromones à l’organe de Jacobson. Les phéromones sont des substances chimiques volatiles émises à l’extérieur du corps qui communiquent des messages entre individus de la même espèce et provoquent des réactions physiologiques et comportementales. Le stress fait produire au bovin des phéromones dans ses urines, ses bouses, son sang. Tout autre bovin qui vient sentir ces matières se met lui-même en stress. C’est la contagion émotionnelle.
On observe ce phénomène notamment sur l’aire d’attente et à l’entrée de la salle de traite éclaboussée de bouse quand l’éleveur s’énerve, crie et/ou frappe. Face à une vache qui vient de bouser, Pauline GARCIA recommande au trayeur de l’accueillir avec bienveillance ; plus facile à dire qu’à faire ! Pourquoi s’efforcer à cette réaction positive ? Parce que le bovin est sensible à la posture de l’humain, à la dilatation de ses yeux, à sa transpiration acide , tous phénomènes exprimant le stress humain. Voilà donc la démonstration de l’importance de la gestion des réactions émotionnelles de toute personne travaillant avec des animaux. Ce que l’infortuné Johnny ignore.
Pauline GARCIA, décidément jamais en panne d’idées pour tenir les animaux éloignés du stress, conseille d’enrichir leur sensibilité olfactive dès le tout jeune âge, celui de la gaité d’apprendre. Elle leur fait sentir par exemple sa trousse de soins. Ils seront moins stressés le jour du soin.
Éduquer le goût et répondre au besoin de succion
Le bovin différencie les cinq types de goût : sucré, salé, amer, acide, unami , avec une préférence pour le salé ; attention aux excédents de sel. Pauline GARCIA éveille, on n’en sera pas surpris, la curiosité gustative de ses veaux, manière de faciliter les transitions alimentaires futures.
L’aliment répond à un besoin primaire lié à la survie ; le bovin en est friand. Les granulés ont donc aussi pour fonction d’accélérer la relation. L’éleveur peut en distribuer pour éduquer le bovin à donner le pied, monter en camion, marcher en longe… et comme récompense. Pauline GARCIA donne à la main une petite poignée de granulés tirés du sac banane qu’elle porte sur le ventre.
Si la succion permet au veau de boire le lait, ce n’est pas sa seule fonction ; il en conserve le besoin jusqu’à un an ou un an et demi. Ce comportement est naturel, comme le léchage, manière de s’apaiser, de diminuer le stress. Quand le veau a faim, le réflexe de succion lui vient, qui dure vingt minutes environ. Nourri au seau, il ingère sa buvée en cinq minutes et garde le réflexe de succion encore un quart d’heure pendant lequel il va sucer tout ce qui lui tombe sous la langue. Nourrir le veau à la tétine est donc préférable et puis enrichir l’environnement du veau. Une boucle anti-succion crée une frustration qui engendre une anxiété. Et le besoin de succion peut perdurer de manière compulsive au-delà de l’âge normal ; les éleveurs laitiers y sont souvent confrontés.
Assurer d’abord la sécurité
La sécurité est essentielle en élevage bovin, pour les éleveurs et les animaux. Or des bovins paisibles et coopératifs sont un facteur important de sécurité dans les nombreuses manipulations, et de gain de temps dans les soins au quotidien. En outre, des animaux peu stressés sollicitent moins leur système immunitaire. On gagne en santé et en production. Tous ces bénéfices, c’est ce qu’on attend de l’éthologie appliquée à l’élevage bovin ; Pauline GARCIA nous l’a montré. Ajoutons que l’humain y trouve largement son compte avec moins de fatigue, davantage de satisfaction et une relation gratifiante avec ses animaux.
Veiller aux interactions positives
Le bovin manifeste un comportement de proie : mode de vie grégaire, hiérarchie stricte, échange de signaux, protection rapprochée des petits, sensibilité fine qui engendre du stress, attention curieuse à tout ce qui paraît nouveau et insolite. Le bovin assure sa protection grâce à des sens très développés et un système de défense basé sur la fuite et la lutte. L’éthologie qui étudie ces comportements recense les six besoins fondamentaux du bovin qu’il appartient à l’éleveur de nourrir. Elle nous confirme que les animaux ont de la mémoire où ils gardent durant plusieurs années le souvenir des interactions positives et négatives, les épisodes de peurs et de souffrances. Une vache qui accumule des mauvais souvenirs non équilibrés par des interactions positives sature négativement sa mémoire et peut devenir méchante au point de charger. À qui la faute ?
Pauline GARCIA invite donc les éleveurs à intervenir en sachant que tout ce qu’ils font à l’animal s’imprime dans sa mémoire. Réfléchir et anticiper. On est pourtant parfois obligé de provoquer de la douleur au bovin pour le soigner ; il faut alors contrebalancer cet acte par des interactions positives. Avant la piqûre, on gratte et on donne un peu d’aliment ; après, idem. Il faut tout le temps diluer le négatif dans des actions ressenties positivement par le bovin pour qu’il ne devienne pas rancunier, n’élargisse pas sa bulle, ne s’enfuie pas à l’approche, ne refuse pas le soin. Conscience et bienveillance sont donc deux qualités majeures de l’éleveur, aptes à établir et entretenir la confiance réciproque entre l’humain et l’animal. Ce dernier a besoin d’être rassuré ; notre éleveuse y travaille par l’enrichissement de l’environnement des bovins dès le plus jeune âge et par une relation quasi quotidienne positive tout au long de la vie de l’animal. Cette relation doit beaucoup au tactile, avec les accessoires indispensables de grattage, brosses et gants à picots.
De bonnes pratiques relationnelles
Pauline GARCIA, au milieu de ses animaux, nous montre comment aborder la vache : l’observer d’abord, en particulier sa posture, puis l’approcher hors de son angle mort, marcher à côté, sans presser le pas ni faire de gestes brusques, lui parler et lui présenter la brosse qu’elle connaît, gratter les parties du corps les plus sensibles, rester attentif à ses réactions, faire attention aux insectes… Une petite poignée d’aliment et un grattage sont les deux façons de remercier un bovin après une bonne action.
La visite régulière du troupeau permet de vérifier du regard, que tout va bien, de repérer l’animal qui aurait besoin d’un soin, de manifester de l’attention, de marquer des points dans la mémoire des animaux par une communication qui n’est pas nécessairement tactile mais passe par la posture et la voix. C’est ainsi que s’entretient la confiance et se cimente la relation.
Pratique en ateliers
Mais, direz-vous, la démonstration de notre éleveuse est facile, finalement, puisqu’elle connaît ses vaches et que celles-ci la connaissent. La confiance réciproque est bien ancrée. Qu’en serait-il si elle débarquait dans un troupeau qu’elle ne connaît pas ? Eh bien, pour vous le montrer, Pauline GARCIA se tient à la disposition des éleveurs et des groupes, partout en France, qui veulent acquérir de bonnes pratiques grâce à l’éthologie bovine appliquée. Comme il s’agit de trois ateliers de terrain, la condition est de disposer d’un lot de jeunes génisses allaitantes ou laitières.
Elle y fait voir concrètement ce qu’est l’enrichissement, en installant des accessoires et en montrant comment on peut les fabriquer. On constate l’effet apaisant sur les animaux de l’enrichissement qui les rend moins craintifs, plus confiants et entreprenants. La peur est une émotion toxique qui engendre le mécanisme de défense de l’animal, et, par contagion, la délinquance du troupeau qui peut devenir ingérable et dangereux. Dans le troisième atelier, notre éleveuse montre comment elle établit la relation avec des animaux qu’elle ne connaît pas mais dont elle repère d’abord la place dans la hiérarchie. Elle ne va pas en premier lieu vers une meneuse mais vers une dominante, laissant de côté les soumises ; elle explique pourquoi. Ainsi, chacun repart avec un protocole relationnel facilement applicable dans son propre troupeau.
En conclusion
Grâce à l’excellent cours en ligne de Pauline GARCIA, une éleveuse qui sait communiquer, on se rend compte que prendre soin de ses bovins grâce aux principes de l’éthologie n’est pas le privilège d’éleveurs en dentelles ni l’apanage de fans de concours. Établir à force d’attention et de patience des interactions positives avec ses animaux appelle certes de la constance et du savoir-faire, demande d’y consacrer du temps et de l’énergie, mais les animaux le rendent au centuple par la facilité avec laquelle on peut les approcher, les manipuler, les véhiculer, les soigner en toute sécurité ; et puis aussi par la belle santé qu’ils affichent et la productivité qui s’ensuit. En fin de compte et tout du long de la vie des bovins et de leurs éleveurs, c’est du sens au métier et la satisfaction de belles relations au quotidien.