«La science, après avoir longtemps tâtonné, sait aujourd’hui que le plus fécondant et le plus efficace des engrais, c’est l’engrais humain. […] Ces tas d’ordures du coin des bornes, ces tombereaux de boue cahotés la nuit dans les rues, ces affreux tonneaux de la voirie, ces fétides écoulements de fange souterraine que le pavé vous cache, savez-vous ce que c’est ? C’est de la prairie en fleur, c’est de l’herbe verte, c’est du serpolet et du thym et de la sauge, c’est du gibier, c’est du bétail, c’est le mugissement satisfait des grands bœufs le soir, c’est du foin parfumé, c’est du blé doré, c’est du pain sur votre table, c’est du sang chaud dans vos veines, c’est de la santé, c’est de la joie, c’est de la vie.» Victor Hugo. Les Misérables, 5ème partie (Jean Valjean), livre 2ème, ch. 1. 1862
Utiliser nos excréments comme engrais, voilà bien un combat méconnu de notre grand poète ! Bien documenté, Hugo suivait ainsi les idées du chimiste et agronome français Pierre-Paul Dehérain (1830-1902), alors professeur à l’école d’agriculture de Grignon (école devenue aujourd’hui AgroParis Tech). L’objectif est double : trouver une alternative au fumier animal, et détourner ces « fétides écoulements » du fleuve (en l’occurrence la Seine) où ils se jettent. En effet, l’on commence à avoir de sérieux doute sur la responsabilité de cette eau fluviale polluée dans les nombreuses épidémies de choléra de ce siècle (car on la boit parfois cette eau, faute de mieux). Le tout-à-l’égout ne s’imposant à Paris (par obligation légale) qu’à partir de 1894, de nombreuses fosses d’aisances (à ne pas confondre avec les fosses septiques) jalonnent la capitale, fosses vidangées plus ou moins discrètement, toujours de nuit (« ces tombereaux de boue cahotés la nuit dans les rues »). Une fuite dans l’une de ces cavités, et voilà l’eau des nappes phréatiques et des puits environnants dangereusement contaminée. Notez que le contenu desséché de ces fosses pouvait être transformé en engrais sous le nom de « poudrette », mais cet amendement était toutefois peu prisé des agriculteurs car donnant un mauvais goût aux produits.
Celui qui va répondre le mieux aux ambitions d’Hugo est un ingénieur de la ville de Paris nommé Alfred Durand-Claye (1841-1888). Il décide d’appliquer à partir de 1869 la « méthode flamande » d’irrigation des terres agricoles par les eaux d’égout (celles qui sortent du réseau parisien donc). Gennevilliers et sa plaine sableuse délimitée par la Seine (on la nomme aussi « presqu’île de Gennevilliers ») sont choisis pour cette expérimentation. Le petit village d’à peu près 2000 âmes, où l’on « trouve dans ses environs de jolies maisons, des sites agréables, des promenades variées » (comme l’écrit Julien de Gaulle, grand-père du Général, dans sa « Nouvelle histoire de Paris et de ses environs », publiée en 1841), est alors un lieu prisé des peintres impressionnistes (Gustave Caillebotte en particulier, qui y acheta une propriété champêtre en bord de Seine au Petit-Gennevilliers, avec son potager, un beau jardin fleuri, et une serre où il cultivait des orchidées ; il y mourut en 1894 à l’âge de 45 ans). Mais de cela, notre ingénieur doit peu se soucier. Si la surface d’épandage n’est que de six hectares à ses débuts, elle passe à 422 hectares en 1880 : la culture des légumes en profite pleinement, leur production explose et s’écoule bientôt sur les étalages parisiens (la boucle est bouclée pour ainsi dire…). En souvenir de cette époque bénie, la commune laissera même son nom à une variété légumière, le fameux poireau de Gennevilliers. Époque bénie, enfin pas pour tout le monde, car si les maraichers se frottent les mains, les riverains se bouchent le nez ! Et ils se plaignent rapidement de divers maux (fièvres intermittentes, dysenterie…) poussant des médecins à discuter de la salubrité de l’opération. Consulté, Pasteur lui-même affirme en 1880 « il y aura des milliers de germes qui s’accumuleront sans cesse et qui pourront être la cause des maladies les plus graves » [https://www.cairn.info/revue-histoire-urbaine-2005-3-page-65.htm]. Ce qui n’empêchera pas l’épandage de se poursuivre à Gennevilliers jusqu’en 1964 [https://books.openedition.org/pur/111314?lang=fr]. Entretemps, « Gadoue-ville », comme on l’a surnommée durant cette période d’irrigation massive, est devenue une ville industrielle, où usines et zones urbaines ont remplacé les champs cultivés.
En 1964, nous sommes en plein dans les « Trente Glorieuses », croissance économique rime avec élévation du niveau de vie et hausse de la population. À la faveur d’une immigration de travail d’origine étrangère et d’une augmentation des naissances (c’est le bien connu baby-boom), le nombre d’habitants de Gennevilliers va tout simplement doubler entre 1946 et 1975 pour atteindre le seuil des 50 000 (non dépassé depuis). Pour loger tout ce petit monde, une grande barre HLM de 350 mètres de longueur comprenant 568 logements sur onze étages vient juste de sortir de terre l’année précédente, remplaçant un champ de blé dont les épis remuaient encore sous l’effet du vent il y a peu. Son nom ? Je vous le donne en mille (Émile) : la barre Victor-Hugo !!. Ces appartements offrent un confort alors inconnu de bien des français : une salle de bain digne de ce nom et des toilettes dans le logement (et non sur le palier de l’immeuble ou au fond du jardin). Avec un accroissement conséquent de la population et une diminution des surfaces agricoles, l’équation alimentaire semble difficile à résoudre. La solution ? L’utilisation massive d’engrais chimiques et autres produits phytosanitaires. Avec la mécanisation, ils permettent le développement d’une agriculture intensive qui, non contente de nourrir les français (l’autosuffisance alimentaire est atteinte en 1960), va bientôt permettre à la France de devenir le deuxième exportateur mondial de produits agricoles.
À ce propos, l’on ne peut pas passer sous silence le nom d’un chimiste allemand du XIXème siècle : Justus Liebig (1803-1873, titré baron von Liebig en 1845). Jean-Louis Dumas, dans son article « Liebig et son empreinte sur l’agronomie moderne », publié dans « La revue d’histoire des sciences » en 1965, a montré comment Justus von Liebig a influencé l’usage des engrais : « En précisant les principales données de l’alimentation minérale des plantes, et en les présentant sous forme de lois permettant dans la pratique le développement des engrais, Liebig a rompu le circuit fermé dans lequel évoluaient les matières minérales entre la terre, les plantes, les animaux, le fumier et la terre. Liebig a permis à l’usine-plante d’utiliser des matières minérales d’origine industrielle, et l’a libérée d’une servitude naturelle. […] Dans la mesure où la révolution industrielle a été rendue possible par la libération de main d’œuvre terrienne, c’est d’abord l’engrais qui a permis l’édification du monde moderne. Sans engrais, le poids de la charge alimentaire pèserait très lourd sur les économies nationales des pays développés. » (c’est J.L Dumas qui souligne la phrase en gras) Apologie datée de l’usage des engrais chimiques ? Ou texte éclairant qui donne matière à réflexion ?... Si le nom de Liebig se rattache aujourd’hui à une marque française de soupe en brique (voilà pourquoi ce nom vous disait quelque chose !), notre chimiste-baron, de son vivant, commercialisa sous son nom un extrait de viande dont la fabrication mettait à profit les prémices de ce que l’on appelle aujourd’hui la mondialisation.
La mondialisation se caractérise par le déploiement démesuré des échanges à travers la planète en utilisant, d’une part, des moyens de transport de plus en plus performant (en commençant par ceux à vapeur au XIXème siècle), et, d’autre part, en bénéficiant de la chute des barrières douanières. Ainsi, la politique commerciale européenne participe avec enthousiasme “au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu’à la réduction des barrières douanières et autres” (article 206 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, appelé aussi traité de Lisbonne, appliqué à partir de 2009. Vous savez, c’est la vraie-fausse Constitution européenne) Mais c’est encore avec des bateaux à voile que, dès les années 1830, le guano du Pérou, riche en phosphates, est exporté en Europe, comme le sera plus tard le salpêtre (nitrate) du Chili. Des engrais alors d’origine naturel, puisque la production d’engrais chimique n’atteindra le stade industriel qu’à partir de 1913, avec la mise au point du procédé Haber-Bosch (qui permet de réaliser des engrais azotés à partir d’ammoniac de synthèse). Procédé qui vaudra à Fritz Haber (également inventeur du tristement célèbre gaz moutarde employé pendant la Première Guerre mondiale) de se voir décerner le prix Nobel de chimie en 1919…
Le marché mondialisé comme il se présente aujourd’hui, appelle une concurrence exacerbée pas toujours très saine, qui se manifeste par la recherche d’un prix de vente aussi bas que possible (une exigence des consommateurs, n’est-ce pas ?). Pour y parvenir, il faut évidemment diminuer ses coûts de production. Dans le secteur agricole, cela rime souvent avec la mise en place de vaste monoculture (permettant des économies d’échelle) dont le succès est assuré par le recours aux engrais chimiques et aux produits phytosanitaires. Non content de perturber l’équilibre des écosystèmes en malmenant la biodiversité, cet emploi massif de produits chimiques pollue notre environnement et la récolte ainsi obtenue, ce qui est source d’inquiétude pour notre santé et celle de nos terres, dont le sol épuisé par un tel traitement finit par devenir stérile. La manipulation de ces produits chimiques n’étant pas sans danger, les agriculteurs en furent parfois les premières victimes. Pour toutes ces raisons, il n’est pas étonnant que nombre d’entre eux réfléchissent aux moyens de réduire leur utilisation, ou souhaitent même s’en passer complètement. Cela demande toutefois réflexion et courage. Réflexion, car l’agriculteur doit alors repenser la globalité de son système de production, ce qui n’est pas simple. Le courage il en faut, pour changer ses pratiques et voir son temps de travail souvent s’allonger pour des résultats incertains. C’est dire si les conseils d’un professionnel qualifié et expérimenté se révèlent précieux pour accomplir cette transformation. Nous avons choisi pour vous ceux de David Stephany, ingénieur agricole de formation, qui se consacre à cette mission depuis de nombreuses années. Pour une exploitation en système céréalier pur ou en polyculture élevage (avec prairie et cultures dans leurs rotations), il a identifié sept leviers agronomiques permettant de réduire, ou de supprimer, les intrants chimiques : la rotation des cultures, le choix des variétés, l’association de cultures, le choix des dates de semis, la gestion des intercultures, le travail mécanique du sol, et le désherbage du sol. Entrons sans tarder dans le vif du sujet avec la proposition pivot de David Stephany (autour de laquelle tournent toutes les autres) : la rotation des cultures.
La priorité des priorités : une rotation des cultures bien réfléchie
Avant tout, rappelons les trois voies principales permettant de s’attaquer au problème des intrants chimiques :
Travailler sur l’efficacité (l’efficience en terme technique) des traitements, avec un meilleur réglage du pulvérisateur, une optimisation de leur dosage, ou un choix plus fin du moment de leur application.
Substituer les traitements chimiques par des produits naturels.
Reconstruire le système dans sa globalité en agissant sur différents leviers agronomiques.
C’est cette dernière voie que préconise notre expert pour réduire très significativement les intrants chimiques, voire même de s’en passer complètement, elle sera le fil conducteur de cette formation. Bien sûr, ces leviers agronomiques ne seront peut-être pas tous applicables en fonction du contexte climatique (habituel ou de l’année), ou géographique (nature du sol), de l’exploitation. Le chemin de la réussite peut donc se révéler tortueux, mais la satisfaction n’en sera que plus grande une fois l’objectif bio atteint !
Principes généraux de la rotation :
Il suffit de poser les conséquences avérées de la monoculture agricole (épuisement des sols, vulnérabilité accrue aux maladies et aux ravageurs, perte de biodiversité…) pour se convaincre de l’importance de la rotation des cultures. Alors que la rotation des cultures permet de : - Casser le cycle des adventices, des maladies et des ravageurs. - Maintenir, voire d’améliorer la fertilité des sols
Pour une rotation des cultures efficiente, il faut :
Bien réfléchir à sa tête de rotation (évidemment différente pour l’éleveur que pour le céréalier, nous y reviendrons) : la prairie s’impose pour l’éleveur par son fort pouvoir « nettoyant » et la possibilité d’augmenter le potentiel fertilisant de celle-ci par l’ajout de légumineuses (donc d’azote).
Diversifier au maximum ses cultures : il y a un lien direct entre le nombre de cultures présentes dans la rotation et la pression des adventices. Quatre ou cinq cultures différentes dans votre rotation entraineront une sensible diminution de cette pression.
Alterner les familles de plantes d’une année sur l’autre : graminées (céréales à paille), crucifères (colza), légumineuses (soja, lentilles) …
Alterner les périodes de semis en travaillant des cultures d’hiver, de printemps ou d’été car si l’on travaille le sol tous les ans à la même période, on fera lever tous les ans le même type d’adventice exploitant des conditions favorables (comme les graines de chénopodes ou l’amarante au début du travail du sol en avril, dans l’exemple d’une monoculture d’été, situation se révélant ingérable sans l’usage de la chimie). Deux ou trois périodes de semis vous aideront à casser ce cycle des adventices : pour cela, et pour réaliser un travail du sol décalé, David Stephany vous propose par exemple de semer une prairie temporaire, ou du colza, en fin d’été, ou encore de semer des lentilles en début de printemps.
Introduire régulièrement des légumineuses, si possible une fois tous les trois ans (en bio) pour capter l’azote atmosphérique et ainsi diminuer le recours aux engrais.
Penser à la couverture des sols, notamment en hiver (voir la gestion des intercultures).
Intégrer des cultures nettoyantes (plantes au pouvoir allélopathique qui ont la propriété d’émettre des molécules chimiques qui affectent la germination et/ou la croissance des mauvaises herbes) tels le sarrasin ou le seigle ; des cultures couvrantes (qui diminuer la lumière disponible pour la croissance des adventices) comme le seigle, l’avoine ou le triticale) ; le même objectif de diminution de la luminosité sera obtenu par des associations de cultures (céréales + protéagineux).
Points clés de la construction de sa rotation en système céréalier :
Au-delà de ces grands principes agronomiques, la mise en pratique de ce que l’on vient de voir est très variable selon votre contexte particulier et vos aspirations :
Objectifs techniques : comme supprimer les produits phytosanitaires tout en conservant mes rendements, ou garder ma parcelle aussi « propre » qu’auparavant.
Objectifs économiques : à la recherche d’un équilibre entre la diminution des charges (mes intrants) et la baisse des rendements.
Objectifs humains: se libérer du temps, pour sa famille par exemple, en évitant des cultures réclamant de fortes charges de travail à des périodes où l’on souhaite être disponible.
Il faut aussi inclure dans ses réflexions :
Le contexte pédoclimatique : si vous avez des terrains filtrants et des été secs, oubliez les cultures d’été. Prêter aussi attention au choix de votre culture d’hiver si votre terrain retient l’eau (hydromorphe).
La valorisation des cultures : en système céréalier, du trèfle ou de la luzerne peuvent prendre place en tête de rotation si un élevage se trouvent près de chez vous (ou usine de déshydratation). Ne manquez pas aussi de suivre les cours du marché pour alterner culture rentable et moins rentable (mais utiles agronomiquement parlant).
Les matières organique (MO) animales (en système céréalier) : l’accès à des fientes de volailles ou autres MO animales bien chargées en azote, vous permettront la mise en place de cultures « gourmandes » de ce minéral, comme le blé ou le maïs ; dans le cas contraire, vous devrez avoir recours aux engrais, à moins de choisir des cultures moins exigeantes, voire des légumineuses (qui se débrouillent toutes seules).
L’irrigation : quid de l’apport d’eau en été ?
La technicité : diminuer les phytos, c’est aussi revenir à des techniques agronomiques réclamant précision et une certaine maîtrise, comme le désherbage mécanique dans le cadre des cultures d’été, ce qui peut être source d’appréhension et de doutes faute d’expérience suffisante.
Le temps de travail (sujet déjà abordé)
La place des légumineuses (sujet lui aussi déjà vu)
Le rôle des couverts végétaux (que nous étudierons plus loin en détail).
Points clés de la construction de sa rotation en système de polyculture élevage :
La rotation est ici plus simple à mettre en place puisque les prairies sont valorisées par les ruminants qui eux-mêmes fournissent des MO animales. Toutefois, il faut tenir compte de vos objectifs :
Techniques : ainsi le niveau de production laitière espéré détermine la qualité des fourrages et l’utilisation de concentré (qui vous rend plus dépendant du point de vue financier).
Économiques : toujours l’équilibre entre charges et rendements.
Humains : la question du temps de travail est moins sensible avec la prairie ou les céréales à paille.
Votre rotation doit donc intégrer les données suivantes :
Le contexte pédoclimatique
Les besoins du troupeau en fourrages et/ou concentrés
La possibilité de réaliser des cultures de vente qui rapportent suffisamment avec un temps de travail limité.
La présence des MO animales
La mise en place de couverts valorisables en dérobées (ce qui sécurise le système fourragé, en plus de limiter les adventices).
Le temps de travail.
La situation des parcelles : l’utilisation régulière en prairie s’imposera sur les parcelles proches des bâtiments, clôturées, et ayant un accès à l’eau.
Vous l’avez compris, le contexte de votre exploitation et vos objectifs particuliers font de l’établissement de votre rotation de culture un projet spécifique et personnel. Nous allons maintenant resserrer notre réflexion à l’échelle de la parcelle.
Comment remporter la course à la lumière contre les adventices sans dopage et vaincre les ravageurs proprement : les choix variétaux et d’espèces, la gestion des intercultures et des dates de semis.
Les impacts d’un bon choix variétal :
Notre expert l’a lui-même constaté avec stupeur, sur un même précédent cultural, avec des interventions techniques identiques (préparation de sol, date de semis, fertilisation...), des essais en bio montrent l’importance du choix de la variété dans les résultats obtenus : * Le rendement peut aller du simple au double sur certaines années, en fonction des conditions climatiques. * Le succès d’une variété fluctue énormément selon les années (conditions favorables ou non), d’où l’intérêt des mélanges variétaux pour lisser ces disparités. * Forte variabilité de résistance aux maladies en céréales à paille. * Importance de la vigueur au démarrage : permet de couvrir les adventices et de diminuer l’impact des ravageurs.
Les associations de cultures : C’est un des principaux leviers pour diminuer (et même supprimer) les phytos dans la parcelle. Le mélange d’espèces a plusieurs intérêts :
• Concurrencer les adventices avec une meilleure couverture du sol
• Résistance et effet de barrière face aux maladies et aux ravageurs puisque les différentes espèces n’ont pas la même sensibilité aux maladies.
• Moindre exigence d’azote (et donc d’engrais) si l’on a introduit une légumineuse dans l’association
• Réduction du temps de travail (très peu d’interventions entre le semis et la récolte) grâce aux méteils (couvrant et résistant aux ravageurs)
• Rendement minimal assuré même en cas de conditions difficiles, mais « on sait ce qu’on sème, pas ce que l’on récolte » ! Si la quantité est très variable, la qualité l’est tout autant, ainsi la ration hivernale donnée aux bêtes dépendra en partie des résultats du méteil en matière de céréale ou de protéagineux.
Exemples d’associations de cultures expérimentées par notre expert :
Céréales/protéagineux, ce sont les méteils (complexes ou simples)
Colza associé
Maïs associé
Les méteils complexes : C’est un mélange de plusieurs céréales avec un ou plusieurs protéagineux, valorisation uniquement dans les systèmes d’élevage. - Atouts agronomiques : couverture du sol et barrière aux maladies - Apport protéique pour l’alimentation du troupeau et diversification du type d’amidon (on achète moins de tourteaux tout en diminuant ainsi le risque d’acidose dû au concentré).
On peut trouver dans ces méteils les graminées suivantes : Blé, triticale, seigle (effet acidogène à surveiller par la libération de sucre dans la panse des ruminants) ou l’orge, l’avoine, l’épeautre (effet acidogène beaucoup moins marqué). Les légumineuses utilisées sont (dans l’ordre croissant d’apport protéique) : Pois (fourrager ou protéagineux, il en faut entre 30 et 40% dans la récolte du méteil pour obtenir une teneur en protéine optimale), la vesce, la féverole et le lupin.
Les méteils simples : Ils sont composés d’une céréale et d’un protéagineux. La simplicité de tri peut le rendre intéressant à certain opérateur économique. Triticale/pois fourrager : Triticale bon tuteur pour le pois fourrager qui fait plusieurs branches (avec une densité de 10 à 15 pieds en sortie d’hiver). C’est le plus couvrant des mélanges (diminution des adventices). Attention, c’est un mélange acidogène. Orge/pois protéagineux : Se récolte dès juin. Densité de semis à 50/50, le pois protéagineux ne poussant que sur une seule tige cela doit représenter 40-45 pieds au m2 en sortie d’hiver. Attention aux excès d’eau hivernaux, mais aussi à la sécheresse et à la chaleur lors de la floraison du pois protéagineux. Blé/féverole : plutôt à la vente, après triage Triticale/féverole : pour l’autoconsommation par le troupeau. Notez que la féverole est à la fois sensible au grand froid, si elle n’est pas semée assez profond (8 cm au lieu de 2 pour les céréales), et à la chaleur/sécheresse au moment de la floraison et de la formation des gousses. Autres mélanges possibles : seigle/vesce : cette dernière a l’avantage de n’être pas du tout appréciée des sangliers, contrairement aux pois, mais elle est très envahissante et donc à proscrire dans le système céréalier pur sous peine de monter au milieu du blé et de compliquer le battage, de plus le mélange blé/vesce est difficile à séparer. Avoine/féverole (maturité concordante et avoine moins acidogène). Avoine/lupin (ce dernier entraînant un rendement plus aléatoire).
Le colza associé à des plantes compagnes :
Les plantes compagnes ne sont pas récoltées avec le colza. Les intérêts de cette association sont :
• La diversité botanique, le colza étant un crucifère.
• La valorisation du pic de minéralisation d’automne par le colza, c’est presque la seule plante annuelle dans ce cas (hormis les prairies et les couverts verts).
• La maîtrise des adventices et des ravageurs d’automne grâce aux plantes compagnes qui semblent « cacher » le colza aussi bien visuellement qu’olfactivement.
• La possibilité, en cas d’échec de la culture du colza (attaque des méligèthes par exemple), de détruire celui-ci et ses plantes compagnes au printemps, offrant ainsi un couvert végétal crucifère-légumineuse profitable aux cultures d’été qui suivront.
Les facteurs de réussite : fertilisation organique, une date de semis précoce au 15-25 août (stade 4 feuilles au 20 septembre pour résister aux ravageurs comme les altises).
Quant au choix des plantes compagnes (au pouvoir couvrant recherché), privilégier les légumineuses en bio (pour leur apport en azote), en distinguant les plantes gélives (sensibles au gel) des pérennes :
Les gélives (toutes des légumineuses, hormis la première) : sarrasin (couvre très vite le sol mais attention peut grainer dans la parcelle avant les gelées), lentille fourragère, trèfle d’Alexandrie (même s’il peut résister jusqu’à -8, -10), fenugrec, pois de printemps, vesce de printemps (attention à son développement étouffant), gesse, féverole (attention coût élevé).
Les pérennes : lotier, trèfle blanc (attention assèche le sol en surface), trèfle violet.
Un point sur les méligèthes : pour les satisfaire au printemps, planter 5 à 10% de colza précoce (une quinzaine de jours avant celui que l’on veut récolter) qui lui offrira des fleurs ; permet de diminuer les insecticides, mais quelquefois la pression des insectes sera trop forte et poussera les méligèthes à s’attaquer aussi aux bourgeons, alors qu’un hiver trop long empêchera la réalisation de cette technique (les fleurs apparaissant en même temps).
Le maïs associé :
Associé au soja, cela ne fonctionne qu’en élevage (essentiellement laitier). Ce soja permet une meilleure couverture et d’augmenter la valeur protéique du maïs récolté pour l’ensilage. Apport de MO nécessaire et désherbage mécanique en bio. On se base sur la maturité du maïs pour la récolte. On gagne 1.5 point de MAT (Matière Azotée Totale), c’est toujours ça de moins en tourteaux. Même rendement en énergie que le maïs seul.
À noter que d’autres associations maïs-légumineuse sont possibles selon le contexte pédoclimatique : ainsi maïs-féverole dans le Centre-Ouest, région aux étés encore rarement caniculaires, ce qui permet de préserver la féverole des grosses chaleurs.
La date de semis : C’est aussi un levier important pour se passer des phytos, sur des cultures comme :
Le colza : semis précoce pour éviter les ravageurs
Les céréales à paille : on conseille souvent un semis tardif pour éviter la concurrence des adventices et l’attaque des pucerons, mais la céréale peut manquer de vigueur en entrée d’hiver et repartir difficilement au printemps
Les cultures d’été : toujours pour éviter la menace des adventices et des ravageurs, décaler les dates de semis un peu plus tard. On applique la règle des trois dix : dix degrés, à dix heures du matin, à 10 cm de profondeur. Mais c’est surtout la météo des jours suivants le semis qui a son importance, on recherche une période « poussante » : pas de pluie, beau temps pour un développement rapide.
La gestion des intercultures : couvert, déchaumage, ou les deux ? C’est l’espace de temps entre la dernière récolte et le prochain semis. Il y a trois stratégies possibles pour gérer cette période :
o Ne rien faire !
o Travaux mécaniques du sol, pour lutter contre les vivaces et certains ravageurs
o Mettre en place un couvert végétal qui couvrira et structurera le sol, entrainant la production de biomasse, et la stimulation de l’activité biologique du sol (par l’action racinaire) Les deux dernières actions peuvent se cumuler.
Ce choix stratégique dépend de plusieurs facteurs :
• La durée de l’interculture : moins d’un mois, comme entre une céréale à paille et le semis d’un colza, c’est trop court pour couvrir le sol. Entre 2 et 4 mois entre deux céréales à paille, on peut se poser la question d’un couvert. Pour l’interculture longue entre deux cultures d’été (6-7 mois entre l’automne et le printemps), vrai intérêt d’une couverture pour éviter érosion et récupérer les restes d’azote mais choix limité de la culture à cause de la date tardive. Enfin, pour l’interculture très longue entre colza ou céréale à paille et une culture de printemps, la couverture est indispensable en bio pour remettre de l’azote dans le système.
• La date de libération de la parcelle du précédent cultural
• Les conditions climatiques post-récolte du précédent cultural : humidité recherchée pour implanter le couvert
• Présence de vivaces et/ou de ravageurs : déchaumage rapide après moisson de la céréale en été pour faire griller les racines
• Possibilité de semis sous couvert de la culture précédente : succès aléatoire selon les conditions météos (ni trop sec, ni trop humide), la densité de la céréale à paille en place (trop dense elle étouffe le couvert, pas assez le couvert prend le dessus), et il faut que la culture soit propre (pas d’adventices)
• Objectifs agronomiques recherchés pour la culture suivante : le couvert (si possible légumineuse) s’impose si la culture suivante réclame de l’azote. On peut aussi souhaiter conserver la structure du sol et donc éviter les déchaumages successifs.
Le retour en grâce du labour et du désherbage mécanique : Les travaux physiques du sol.
Le labour :
Intérêts :
*Effet sur le salissement par l’enfouissement des graines d’adventices (en sachant qu’elles germent majoritairement entre 0 et 5 cm)
*Effet « nettoyant » sur les résidus végétaux en surface qui gênent parfois le désherbage mécanique
*Effet stimulant sur la minéralisation des MO du sol (par l’aération donnée), ça fait vraiment la différence en termes de rendement (nutriment)
Limites :
Perturbation de la vie biologique des sols (habitat de la macro et microfaune)
Consommation d’énergie fossile
Compromis à trouver entre ces effets positifs et négatifs :
• Alternance labours/non labours selon les années et les cultures en place (ce qui permet aussi de ne pas remettre les adventices en position de germer)
• Privilégier les labours peu profond, dits « agronomiques », à 15-18 cm
• Jouer sur le réglage des rasettes (voire les enlever) pour ne pas enfouir toutes les MO en fond de raie (ce qui nuira à sa dégradation microbienne par manque d’oxygène).
Les déchaumages : Permettent de lutter contre les vivaces (chardons, chiendents, rumex, liserons), contre certains ravageurs (limaces, taupins). À réaliser plutôt en été, en période chaude et sèche (afin de griller les racines). Certains vous diront que l’action mécanique sur le sol est aussi néfaste que l’action chimique… Du bon usage du désherbage mécanique.
En effet, l’efficacité du désherbage mécanique dépend de son intégration à un système complet comprenant :
Des rotations de cultures (ne pas se limiter aux cultures d’été)
La gestion des intercultures (déchaumages, mise en place de couverts végétaux)
La limitation des contaminations par les graines (entretien des bordures, tri des semences)
Un choix réfléchi d’espèces ou d’association d’espèces (en privilégiant celles à fort pouvoir couvrant)
Le faux-semis (assez compliqué à mettre en œuvre correctement).
Le désherbage mécanique, conditions de sa réussite :
Une bonne préparation de sol et du lit de semences :
• Sans trop de mottes (pas trop grosses), notamment pour les cultures d’été
• Sol nivelé
• Sol rappuyé
• Ne laisser qu’un minimum de résidus végétaux en surface (la herse étrille peut facilement bourrer).
Des conditions d’interventions spécifiques :
• Météo sèche et sol bien ressuyé (sinon les mauvaises herbes peuvent repartir)
• Passage aux heures les plus chaudes, idéalement entre 11h et 17h pour avoir le soleil en position haute dans le ciel, sans rosée (donc sans humidité)
• Le maïs et le soja sont moins « cassants » l’après-midi que le matin (on fait moins de dégâts)
• Au moins deux jours de temps sec après l’intervention (toujours pour éviter la reprise de l’adventice)
• Changer le sens de travail à chaque intervention pour avoir des angles d’attaque différents sur les adventices.
Exemple du désherbage mécanique sur céréales à paille.
On utilise des outils de travail en plein (sur toute la largeur du terrain) : herse étrille, houe rotative, roto étrille. Enjeu : trouver l’agressivité (réglage) suffisante pour détruire les adventices sans arracher la culture en place !
Le binage a aussi un intérêt (avec un écartement d’environ 25 cm) en cas de problématique de graminées (Ray-Grass, vulpin…) ou de vivaces. Et aussi dans les sols trop refermés en sortie d’hiver, de type limons battants (comme une croute).
Il faut alors bien gérer l’écartement entre les rangs pour permettre le binage sans perdre de rendement.
À quelle date ? À quelle période intervenir ?
Une intervention (très mesurée) est parfois possible (et nécessaire) à l’automne en cas de levée d’adventices (au stade filament) et si les conditions de passage sont favorables (pas de pluie).
L’autre fenêtre météo se situe en sortie d’hiver/début de printemps (sol ressuyé, conditions assez sèches) et permet une à trois interventions, le plus tôt possible jusqu’au stade premier nœud de la céréale. Avec la houe rotative, la herse étrille ou rotro-étrille : le choix se fait en fonction du stade de développement de la culture, des adventices et de la battance du sol (sol refermé) défavorable à la herse étrille, choisir alors la houe rotative. Mais la herse étrille a un réglage plus fin (et perdre jusqu’à 5 % de plants lors de son passage est tout à fait normal, loin d’être dramatique)
La herse étrille permet de relancer la minéralisation du sol (aère et réchauffe le sol) et de donner « un petit coup de fouet » à la céréale.
Exemple de désherbage mécanique sur cultures d’été Tout mécanique, applicable sur maïs/soja. Les préalables : un semis assez profond dans un sol réchauffé et en conditions « poussantes » (période de beau temps prévue). L’objectif : favoriser la levée et une croissance rapide.
Trois fenêtres d’interventions :
Post semis/prélevée à la herse étrille, deux conditions nécessaires : semis profond et temps sec à venir. Quand ? ça dépend des conditions météo de l’année, du la température du sol, de la vitesse de germination des adventices et de la culture. À partir du troisième jour après le semis, faire un tour dans la parcelle, gratter un peu le sol avec son opinel à la recherche des filaments blanc d’adventices (et si grain de maïs/soja pas ou à peine germé, moins de 1 cm) signe du passage de l’étrille avec un réglage pas trop agressif (en plus brouille les repères de ligne de semis du semoir pour les corbeaux).
Seconde fenêtre : maïs stade pointant/allumette. À la houe rotative uniquement. Avec toujours les mêmes présupposés : semis assez profond, sol ressuyé, adventices au stade filament ou cotylédons (pas plus développés), et bon réglage de votre houe rotative pour ne surtout pas recouvrir de terre le maïs qui vient de s’ouvrir.
Troisième fenêtre d’intervention : à partir du stade 2 feuilles du maïs ou du stade 1ère feuille unifoliée du soja. Adventices au stade cotylédon ou 2 feuilles (alors avec herse étrille ou roto-étrille). Avec la houe veiller à ne pas recouvrir les plants de terre, Encore une fois, il faut régler finement l’agressivité de la herse étrille ou de la roto-étrille pour détruire un maximum d’adventices et un minimum de maïs/soja ! (entre 5 et 10% de pertes sont acceptables si le travail donne un bon résultat). Vitesse de la herse étrille ou roto-étrille très faible (1 km/h par feuilles de maïs présente) pour ne pas recouvrir ou casser les plants : l’expérience est primordiale pour déterminer les réglages de l’agressivité et de la vitesse ! Gestion des inter-rangs par le binage Bineuse avec ou sans équipement de guidage. Dès le stade 2-3 feuilles à vitesse réduite, s’il reste des adventices non détruits par les outils en plein. Les passages sont possibles jusqu’au stade 8-10 feuilles du maïs et 50 cm du soja, en augmentant progressivement la vitesse d’avancement, jusqu’à atteindre l’effet butage au dernier passage pour recouvrir les adventices sur le rang (pas trop pour le soja). L’objectif : donner une longueur d’avance au démarrage de la culture en gardant le rang propre ! Nous vous laissons maintenant apprécier les différentes vidéos dans lesquelles plusieurs agriculteurs nous dévoilent leurs pratiques en matière de labour et de désherbage mécanique. L’utilisation optimale de la herse étrille et de la houe rotative, pour des céréales à paille, du maïs ou du soja, n’aura bientôt plus de secret pour vous ! Et surprise, le désherbage mécanique ne se révèle pas aussi chronophage et énergivore qu’on le dit…